C’est l’été. Je suis sur la terrasse, à ne rien faire, en sirotant un verre de rosé en quête d’un thème léger pour un article estival. Justement le vin rosé s’invite à la une de nos journaux. Au printemps 2018, les Échos alertaient sur une possible pénurie de rosé de Provence. Début juillet, le Parisien titrait sur une fraude massive de vrai-faux vin rosé français en provenance d’Espagne. Il faut dire que la consommation de rosé augmente chaque année en France et explose au niveau international. Cuvées, millésimes et cépages de rosé sont même devenus aux Etats Unis synonyme de luxe « à la française ». De quoi susciter les convoitises et même des menaces de taxation de la part de Donald Trump. France, Espagne, USA c’est la guerre des rosés.
La France championne du Monde du vin rosé
Le vin rosé est à la mode. La consommation mondiale de vin stagne mais celle de rosé augmente année après année. Cocorico, la France est la championne du monde du rosé. Les chiffres sont spectaculaires et m’ont vraiment surpris (source étude Franceagrimer). La France en est le plus gros producteur (30% de la production mondiale) mais aussi le le plus gros consommateur (35% de la consommation mondiale). La consommation de rosé connaît dans l’Hexagone un véritable engouement. On boit désormais en France nettement plus de rosé que blanc (30% de la consommation vs. 20% pour le blanc).
Le rosé a réussi à casser les codes traditionnels du vin pour séduire une clientèle plus jeune qui s’éloigne du vin rouge. Avec ses goûts fruités et aromatisés, c’est un vin facile à apprécier. Un rosé pamplemousse autour d’un plat de sushis, hérésie? Mais non, enfin! Bon moment passé entre amis sans cérémonial. « C’est un vin de l’instant sans compromis. Pas besoin de prendre rendez-vous pour le boire, ce qui le met en phase avec les envies de plaisir immédiat de notre société », déclarait aux Échos le sociologue Michel Maffesoli. Le vin rosé a ainsi réussi à sortir d’une consommation purement saisonnière, l’été au bord de la piscine, pour s’inviter toute l’année à nos apéritifs et nos repas.
Du rosé espagnol pas cher disponible en abondance
Et puis le rosé, c’est pas cher. Le litre est vendu en moyenne 3.50€ contre 7.50€ pour le blanc. Le rosé ne se consomme pas qu’en bouteille mais aussi dans les fameux BIB (bag in box) et la production française a du mal à suivre. C’est là que nos voisins espagnols s’invitent à la fête. En 2016 le rosé en vrac espagnol se vendait à 0,34 € /litre pour 0,75 € à 0,90 €/litre pour le rosé français. Vignes et vignobles sont abondants en Espagne et les BIB de rosés espagnols ne sont pas chers. Ils se sont donc très largement imposés dans les têtes de gondole de nos hypermarchés, pas loin des palettes de Nutella.
Rosés de Provence : un positionnement haut de gamme
A l’opposé, les vins rosés de Provence misent avec succès sur la montée en gamme. Le marché se segmente. Un rosé de Provence dégusté par la jet set de la Côte d’Azur, ça vaut forcément cher. La tentation devenait alors trop forte : de l’Espagnol vendu au prix du Provence, le jackpot assuré. Comme au bon vieux temps où les vins du Languedoc se transformaient miraculeusement en Bordeaux…. L’enquête de la DGCCRF évalue la « francisation » à l’équivalent de 10 millions de bouteilles pendant la période 2016-2017.
Mais revenons au rosé de Provence. Les vignerons provençaux ont travaillé sur la qualité de leur vin afin d’en faire un produit haut de gamme. La couleur rose très pâle des vins de Provence est ainsi devenue synonyme de qualité influençant l’ensemble du marché. L’ AOC Bordeaux rosé imposait de faire des vins plus foncés. Face à la déferlante provençale, les bordelais ont dû faire évoluer leur cahier des charges et produisent désormais également des vins roses clairs. Ils tentent de combler leur retard à grands coups de publicité à l’entêtant refrain « Bordeaux Rosé ». Le rosé foncé est donc une espèce en voie de disparition.
Les provençaux ont habilement utilisé la synergie avec le tourisme estival de la Côte d’Azur. Les « people » dans le Lubéron ou à Saint Tropez en train de déguster des magnums des crus locaux, on ne peut rêver meilleure publicité. Ils ont ainsi créé des lieux de haut raffinement comme cette improbable Maison de la Truffe et du Vin du Luberon à Ménerbes.
Vin rosé : la Provence à l’assaut du Nouveau Monde
Le meilleur coup de rosés de Provence est sans aucun doute le lancement du Château de Miraval par la couple Brad Pitt / Angelina Jolie en lien avec une famille de vinificateurs locaux en 2012. Ce vin « mis en bouteille par Brad Pitt & Angelina Jolie » est classé dès son lancement parmi les 100 meilleurs vins du monde par le magazine américain Wine Spectator. Il marque le début de l’explosion commerciale des ventes de vin rosé de Provence aux Etats Unis. Les chiffres ci-dessous d’exportations de vin rosé vers les Etats Unis illustrent l’étendue du succès avec une croissance des ventes de plus de 30% par an ces 3 dernières années et une explosion des prix.
Le vin rosé français a le vent en poupe notamment à New York. S’appuyant sur un marketing raffiné, il y est devenu une des boissons des millenials branchés. La cuvée Whispering angel (l’ange qui chuchote, un joli nom poétique) un vin du domaine du Château d’Esclans est ainsi le vin français le plus vendu aux Etats Unis. “On a créé une ambiance, déclare à France Info Denise Barker, représentante de la marque à New York. Boire du rosé, c’est être au soleil, comme à Saint Tropez, et passer un moment merveilleux avec vos meilleurs amis. C’est une super atmosphère. Notre cible, ce sont les personnes entre 21 et 35 ans, soit beaucoup de jeunes.” Je vous invite à aller faire un tour sur le site de Pinknic un événement extravagant dédié au rosé qui rassemble chaque année plus de 10.000 personnes dans la Big Apple.
Après les Etats Unis, le vin rosé peut-il conquérir la Chine?
5% de la production française de rosé est désormais exportée vers le Nouveau Monde. La France exporte du rosé vendu cher et importe du rosé pas cher. Voilà un bon business pour notre pays. Mais face aux menaces récurrentes de taxation du vin français et en particulier des rosés par Donald Trump, la filière s’inquiète. La poule aux oeufs rosés américaine pourrait disparaître du jour au lendemain sur un coup de tête du président américain.
L’ Asie n’a pas encore goûté aux plaisirs du vin rosé français. La Chine pourrait être le nouvel eldorado du rosé. Mais il y a tout à faire. Les chinois ne connaissent pas le produit et ses codes. Comme l’a expliqué Jiaming Wang, chargé de recherche à l’Université de Brock au Canada lors des Rencontres Internationales du Rosé en janvier dernier : « les Chinois n’ont pas les mêmes références que nous, notamment en ce qui concerne la terminologie des arômes. Moins de 3 % sont capables de mettre un goût derrière le cassis, la griotte ou encore la figue, mais le buis, le coing ou bien le sureau parlent à une grande majorité. » Ce sera la prochaine bataille. Quand la Chine s’éveillera au rosé français…, l’Espagne nous sauvera de la pénurie de précieux nectar.
Mise à jour du 03/08/2018 : après le rosé, le vin bleu
L’actualité est décidément surprenante et nos voisins espagnols imaginatifs. Ils ont concocté un vin BLEU à base de chardonnay qui subit une deuxième macération avec des peaux de raisins noirs. Du vin BLEU, rien n’est impossible dans cette étonnante époque où Red c’est vert, c’est clair.
Mise à jour du 18/10/2019 : la diplomatie du rosé à l’occasion du G7 n’a pas suffi
L’ été avait commencé dans un climat délétère. En réponse à la mise en place par la France de la « taxe GAFA », Donald Trump tempêtait sur Twitter qu’il allait taxer les vins français en représailles. Il avait déjà proféré cette menace en novembre dernier. Chez les viticulteurs notamment provençaux, l’inquiétude montait. On s’attendait à un G7 houleux. Les hommes politiques toujours à l’affût d’un coup de communication ne pouvaient rater une opportunité pareille. Le président du conseil régional de PACA Renaud Muselier a sauté sur l’occasion pour offrir à Donald Trump deux caisses du rosé des Anges. Finalement Donald Trump a renoncé à son projet de taxation des vins français. Il paraît en plus que Melania les adorent. Tout est bien qui finit bien.
Mais l’accalmie aura été de courte durée. Les Etats Unis ont décidé de taxer à 25% tous les vins français. Pour les produits les plus haut de gamme, cela n’aura guère d’incidence. Mais le petit rosé sympa risque de prendre un gros coup avec ces nouveaux droits de douane. Les vins espagnols sont aussi concernés mais curieusement pas les vins italiens. Les bardolino Chiaretto et autres Rosato devraient pouvoir en profiter.
Cher @realDonaldTrump notre rosé, plutôt que de le taxer avec excès, il faut l’aimer avec passion et le consommer avec modération !
Pour la peine, je vous envoie 2 caisses du #rosé des Anges 😇 à la Maison Blanche vous verrez vous allez l’adorer. pic.twitter.com/QMxUm7y6db— Renaud Muselier (@RenaudMuselier) August 24, 2019
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