Reconnaissance faciale : souriez, vous êtes filmés

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2020 bienvenue à Shanghaï : vous êtes en retard pour votre rendez-vous et vous traversez la rue au feu rouge. Pas de chance, une caméra de vidéosurveillance intégrant un logiciel de reconnaissance faciale utilisant l’intelligence artificielle développé par la start-up SenseTime vous a repéré. Votre nom apparaît instantanément sur l’écran géant situé de l’autre côté de la rue désigné à l’opprobre de la foule. Si vous avez de la fièvre en période de Covid-19, la fonction thermique de la caméra le détectera aussi. Les techniques de reconnaissance faciale basées sur une forme particulière d’IA, le deep learning, progressent très vite et vont rentrer massivement dans nos vies. La reconnaissance faciale comment ça marche? A quoi cela va servir? Quels sont les risques pour notre liberté individuelle? Le modèle chinois associant reconnaissance faciale et notation sociale (social credit) fait peur. Avons-nous le même risque en Occident? Le déploiement prévu par les pouvoirs publics en France d’Alicem un système de reconnaissance faciale fait polémique ces derniers jours. Plongée au cœur d’une technologie à la fois excitante et angoissante. Cet article a été écrit en partenariat avec Futura Sciences.

La technologie de reconnaissance faciale : de multiples usages dans la vie quotidienne

Aéroport Charles de Gaulle, dernière ligne droite avant le retour à la maison après un long voyage. Il y a près d’1 heure de queue pour passer le contrôle de police. En bon français, je m’associe aux autres passagers pour râler contre notre vieux pays incapable d’organiser correctement l’accueil des voyageurs.

Cette scène appartient au passé. Depuis cet été, une vingtaine de portiques de reconnaissance faciale ont été installés dans l’aérogare comme dans de nombreux aéroports.  Le fonctionnement est rapide et efficace : avant un sas, un lecteur scanne la photo de votre passeport biométrique. Vous avancez ensuite dans le sas équipé d’un système de reconnaissance faciale pour l’authentification. Il scanne votre visage et le compare en 15 secondes à celui du passeport. Ouf, les deux correspondent. Vous pouvez y aller. Mieux que les empreintes digitales

La reconnaissance faciale remplacera votre code de carte de crédit ou de téléphone

De nombreuses tâches quotidiennes pourront de la même façon être facilitée par la reconnaissance faciale. Fini la carte bleue pour retirer du cash au distributeur. Il saura reconnaître votre visage. Plus de code PIN pour mettre en marche votre smartphone, il a votre visage en mémoire et vous reconnaîtra … Dites au revoir au précieux badge pour l’entrée dans votre entreprise que vous avez encore égaré… Plus besoin de clé pour votre voiture autonome… Et puis en vous reconnaissant, on peut vous proposer instantanément des publicités sur mesure. En Chine, toutes ces utilisations concrètes de la reconnaissance faciale existent déjà.

Les applications de la reconnaissance faciale ne s’arrêtent pas là. Les logiciels de reconnaissance faciale permettent également de détecter les émotions sur les visages. Tout un champ d’applications s’ouvre alors. Dans la salle de classe équipée des caméras de la start-up chinoise SenseTime, le professeur pourra savoir les élèves dissipés, les élèves concentrés, les élèves en forme, les élèves malheureux… Adieu les « pions », bonjour les caméras. 

En France, les pouvoirs publics travaillent sur une nouvelle application sur smartphone baptisée Alicem (Authentification en ligne certifiée sur mobile » qui devrait voir le jour d’ici fin 2019 et qui utilise la reconnaissance faciale. Alicem permettra d’accéder à l’ensemble des services partenaires de FranceConnect. Ce dispositif  de l’État Français facilite l’accès en ligne à plus de 500 services publics. Alicem vise à accroître le niveau de confiance et de sécurité des transactions électroniques des Français avec les services publics. Vous pourrez ainsi vous connecter à votre compte Ameli et votre compte impots.gouv.fr sans crainte d’usurpation d’identité

 

 

L’intelligence artificielle transforme les logiciels de reconnaissance faciale

Les technologies de reconnaissance faciale sont déjà entrées dans nos vies depuis quelques années. Vous souvenez-vous du logiciel de photos Picasa? Il repérait les visages qui apparaissaient fréquemment dans vos photos et permettait un tri facile des photos suivant les personnes présentes. Ça c’était il y a bien longtemps!!!! (Google entre-temps a racheté Picasa qui s’appelle désormais Google Photos).

On ne savait pas encore stocker et traiter une masse de données comme aujourd’hui dans des mégas data centers. C’était avant l’essor de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage profond (deep learning). Si vous lisez régulièrement Étonnante Époque, vous savez que ces technologies permettent facilement de changer les visages sur une vidéo pour faire des vidéos deep fake ,de cloner n’importe quelle voix avec les applications deep voice ou de simuler votre visage vieilli avec des applications comme FaceApp. De la même manière, elles permettent une avancée massive des technologies de reconnaissance faciale.

En Chine, Big Brother is watching you avec les caméras de vidéosurveillance de la start-up SenseTime

Ce sont les Chinois qui sont les plus avancés dans ce domaine. La start-up chinoise SenseTime fondée il y a seulement 4 ans annonçait ainsi en avril dernier une levée de fonds de 600 millions de dollars soutenue notamment par Alibaba. Elle est ainsi devenue l’entreprise d’intelligence artificielle à la plus forte valorisation au monde. Elle a recommencé cet été avec l’annonce de l’injection de 1 milliard de dollars par le Japonais Softbank. Vous le voyez SenseTime dispose des moyens financiers de ses ambitions. Huawei est également en pointe sur ces technologies.

Jusqu’à maintenant, la reconnaissance faciale marchait bien sur des visages immobiles (comme à l’aéroport Charles de Gaulle). SenseTime travaille sur l’amélioration des technologies de reconnaissance faciale pour qu’elles fonctionnent aussi sur des individus en mouvement en train de marcher ou en train de conduire leur voiture. La reconnaissance faciale se limitait aux photos. Elle s’applique désormais aussi aux vidéos. L’entreprise vise pour ses applications un taux d’erreur extrêmement faible, inférieur à 0.01%.

500 millions de caméras de vidéo-surveillances dans les rues chinoises d’ici 5 ans

Les rues chinoises sont équipées de 170 millions de caméras de vidéosurveillance installées sur la voie publique. L’état chinois de tripler ce chiffre d’ici 5 ans. Lors de l’attribution des documents d’identité, l’état chinois constitue une base de données complète avec les données biométriques et les photos des citoyens chinois. Il ne restait plus qu’à connecter cette base de données et les images issues des caméras de vidéosurveillance. C’est ce chaînon manquant sur lequel travaille SenseTime avec son projet Viper : des logiciels qui rendent les caméras intelligentes, des solutions de traitement big data pour analyser la masse des images générées par les caméras.

Il est notable à l’instar des systèmes de notation sociale que ces systèmes de surveillance de masse par la reconnaissance faciale se mettent en place par une étroite collaboration entre l’état communiste et des entreprises privées qui apportent la technologie : en l’occurrence SenseTime une start-up qui se finance exactement comme les jeunes pousses de la Silicon Valley y compris avec des capitaux américains. Bienvenue dans le monde de SenseTime. Je vous invite à regarder cette vidéo complètement hallucinante qui présente les produits de SenseTime. La musique rock de fond contraste avec le caractère glaçant de ce film.

L’arrivée de la reconnaissance faciale en Occident? 

La reconnaissance faciale n’appartient donc plus aux seuls livres de science-fiction. Mais me direz-vous : l’Europe n’est pas la Chine et ça n’est pas prêt d’arriver chez nous. Je pense au contraire que c’est tout à fait possible et plus vite qu’on ne le croit. Les caméras de surveillance sont déjà en place dans de nombreuses villes et sont aujourd’hui un outil incontournable des politiques de sécurité. Quand la technologie de reconnaissance faciale sera vraiment au point, se posera la question de leur utilisation ou non notamment dans la lutte contre le terrorisme. Des débats ont déjà eu lieu à l’assemblée pour l’autorisation de ces technologies pour détecter les fichés S grâce aux caméras de surveillance. 

Les GAFA travaillent aussi sur caméras et logiciel de reconnaissance faciale

Aux Etats Unis, les GAFA travaillent elles aussi sur la reconnaissance faciale. Facebook propose d’ores et déjà à ses utilisateurs qui le souhaitent d’être informés des photos d’eux publiés sur le réseau social.

Amazon propose dans son offre Amazon Rekognition un logiciel de reconnaissance faciale s’appuyant sur l’AI, facturé 0.10$ / minute de vidéo analysée. Ses fonctionnalités sont comparables à celles des logiciels de SenseTime. De nombreuses villes américaines ont équipé leurs polices de ce produit suscitant la controverse. La puissante asssociation ACLU (American Civil Liberties Union) de défense des libertés est partie en guerre contre les utilisations abusives d’Amazon Rekognition par les polices locales. Elle reproche au logiciel son manque de fiabilité mais aussi le risque de stigmatisation de certaines communautés.

Alors comment encadrer cette technologie? Faut-il légiférer? 

Au mois de juillet, Brad Smith le Président et Directeur des Affaires juridiques de Microsoft a publié un long article sur le sujet. Il y constate les progrès rapides des technologies de reconnaissance faciale  avec l’AI et les risques de dérive qu’elles engendrent. Il met notamment en garde sur les énormes questions qu’elles posent en termes de liberté individuelle. Enfin, il appelle l’Etat américain à légiférer rapidement sur le sujet. Cette alerte doit être prise très au sérieux tant les souvent libertariennes GAFAM nous ont peu habitués à réclamer la régulation de leurs activités par l’état.  

Le garde-fou viendra de l’encadrement par la loi de la création de bases de données de visages et l’utilisation des données collectées. En France, l’utilisation de la reconnaissance faciale pour le compte de l’État nécessite d’être autorisée par un décret pris en Conseil d’État, après avis favorable de la Commission nationale de l’informatique et libertés (CNIL). La CNIL a d’ailleurs exprimé de vives inquiétudes concernant le projet Alicem et sa compatibilité avec la RGPD.

Les autorisations ne sont pour l’instant données qu’au compte-goutte. La protection des données et le contrôle de leur utilisation seront ensuite les points clé. On voit bien avec l’utilisation intensive que font les GAFA de nos données personnelles et les dérives révélées par l’affaire Snowden sur la surveillance téléphonique que le sujet est plus qu’épineux.

Un choix de société collectif : technologie de reconnaissance ou libertés individuelles

Avec les technologies de reconnaissance faciale, nous allons devoir faire rapidement un choix de société. Nous avons déjà accepté sans broncher que nos smartphones nous tracent comme un fil à la patteAbandonnerons-nous un nouveau pan complet de notre liberté individuelle contre un supplément de confort au quotidien et plus de sécurité collective? Ce choix me rappelle celui d’Esaü vendant son âme pour un plat de lentilles… Malheureusement la maîtrise technologique de ces sujets semble aujourd’hui largement échapper à l’Europe. Il est donc probable que notre vieux continent soit condamné à subir. Nul doute que nous aurons des débats animés à ce sujet.

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Mise à jour du 24/02/2019 : test de la reconnaissance faciale au carnaval de Nice

La ville de Nice a décidé de tester des caméras de reconnaissance faciale lors des festivités à venir du carnaval. La CNIL prévenue quelques jours avant a largement été mise devant le fait accompli de cette expérimentation. 1000 volontaires qui ont donné leur consentement seront ciblés par les caméras. L’objectif est de tester grandeur nature l’efficacité des caméras. Nul doute que le Maire de Nice Christian Estrosi utilisera ce test à des fins politiques pour pousser la possibilité pour des motifs sécuritaires d’introduire des caméras intelligentes dans sa ville. Comme anticipé, le débat ne va pas tarder à arriver en Occident.

Mise à jour du 18/03/2019 : reconnaissance faciale dans les supermarchés en Chine

Les applications pratiques de la reconnaissance faciale en Chine se multiplient. En partenariat avec le géant Tencent et son application Wechat, Carrefour déploie actuellement le paiement par reconnaissance faciale. Ce système équipe déjà la moitié de ses grandes surfaces en Chine. D’ici 2 mois, tous les hypers le seront. À ce sujet, je vous invite à lire cet article très bien fait : j’ai fait mes courses dans une épicerie chinoise 100% automatisée qui décrit cette nouvelle expérience de shopping. 

Dans le même temps, la ville de Shenzen teste la reconnaissance faciale comme moyen de paiement dans le métro. Bénéfice mis en avant : la fluidité du trafic et le gain de temps…

Mise à jour du 16/05/2019 : limitation à San Francisco

Brad Smith appelait en juillet 2018 l’état à intervenir sur le sujet. C’est désormais chose faite à San Francisco. Le conseil municipal de la ville s’est prononcé mardi en faveur de l’interdiction de l’usage de la reconnaissance faciale par la police et les agences gouvernementales. Une première aux États-Unis, une excellente nouvelle pour la démocratie et les libertés publiques. 

Mise à jour du 30/07/2019 : Google rémunère des passants pour entraîner ses algorithmes de reconnaissance faciale 

Google propose actuellement dans certaines villes américaines de rémunérer contre un bon d’achat de 5 dollars que l’on vous prenne en photo et que Google puisse utiliser ces clichés. Les employés missionnés par Google indiquent qu’ils collectent des données qui permettront d’améliorer la future génération de smartphone utilisant le déverrouillage par reconnaissance faciale selon les témoignages rapportés par Zdnet.

Grâce à cette masse de données, les algorithmes de Google s’auto-améliorent. C’est la même mécanique qui conduit des applications comme FaceApp à collecter massivement les photos de ses utilisateurs. On peut souligner le pas franchi par Google qui a le mérite d’être clair sur le consentement des personnes à communiquer leurs données. Une chose est sûre, jamais la reconnaissance faciale n’a été si proche de rentrer massivement dans nos vies. 

Mise à jour du 20/08/2019 : des lasers dans les manifestations à Hong Kong contre la reconnaissance faciale

Les manifestants de Hong Kong craignent l’utilisation des technologies de reconnaissance faciale pour les identifier et venir les arrêter après les manifestations. On a donc vu surgir dans les manifestations des lasers visant à brouiller les caméras. Avec tous ces lasers, on pourrait se croire dans un film de science-fiction. Mais il s’agit bien de la « vraie vie ». 

Mise à jour du 01/09/2019 : scandale en Angleterre autour des caméras de reconnaissance faciale du quartier de King’s cross

C’est un pavé dans la mare qu’a jeté le Financial Times au cours du mois d’août. Dans le quartier récemment réhabilité de King’s Cross (quartier jouxtant la gare Eurostar de Saint Pancras et abritant notamment le siège de Google), Argent le promoteur en charge de l’aménagement avait bien entendu installé des caméras de vidéo-surveillance. Il y en a plus de 400.000 à Londres. Il avait en revanche omis d’indiquer publiquement qu’elles étaient équipées d’un système de reconnaissance faciale. Interpellé sur le sujet, le promoteur a assuré qu’il avait mis en place cette technologie « dans l’intérêt de la sécurité du public » et « pour s’assurer que toutes les personnes qui visitent King’s Cross aient la meilleure expérience possible »

Suite à cette révélation, le Maire de Londres Sadiq Kahn a fait part publiquement de sa préoccupation concernant les révélations du Financial Times. Il a écrit officiellement au PDG de King’s Cross Development à ce sujet. Dans l’article, je posais la question de l’arrivée de la reconnaissance faciale en Occident. Nous y sommes….

Mise à jour du 17/04/2020 : la reconnaissance faciale combinée aux caméras thermiques au cœur du dispositif chinois contre le coronavirus

La reconnaissance faciale a tourné à plein dans la lutte des autorités chinoises contre le coronavirus. Elle a notamment permis de s’assurer du respect des règles de confinement et notamment de traquer d’éventuels voyageurs qui auraient eu la mauvaise idée de quitter des zones infectées notamment la ville de Wuhan pour d’autres régions du pays. 

A Pékin ou à Shanghaï, dans les gares et les stations de métro, des caméras couplant reconnaissance faciale et capteurs infrarouges mises en place par les sociétés Baidu et Megvii permettent de repérer massivement dans la foule toute personne qui aurait une température corporelle élevée. Les personnes repérées sont immédiatement contrôlées pour être éventuellement mises en quarantaines.

A l’heure où se pose la question en France de la mise en place de StopCovid une application de contact tracing, on se rend compte à quel point la Chine a basculé dans un monde de surveillance numérique. 

Mise à jour du 01/04/2020 : une entreprise chinoise met au point un système qui permet de reconnaître votre visage malgré le port du masque

Avec l’épidémie de coronavirus, le port du masque se généralise. On aurait pu croire que cela signerait la fin de la reconnaissance faciale. « Heureusement », la société Hangwang Technology a mis au point un système qui permet d’identifier les habitants même lorsque leur visage est à moitié masqué. La fiabilité de ce système serait de 95% légèrement moindre que le système habituel (99.5%) mais est tout de même impressionnante. Nous voilà rassurés, la reconnaissance faciale ne fera pas partie des victimes du covid-19 

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