Si lundi c’était ravioli, juillet c’est Tour de France. Le mois de juillet se divise toujours en deux catégories : les inconditionnels de la Grande Boucle et ceux pour qui un dérailleur est un salarié de la SNCF. Je dois bien le dire, ce rituel hexagonal me fascine. Et je ne manque jamais, au café du matin ou à la pause déjeuner, de lancer une petite remarque sur le sujet. Pour voir qui mord à l’hameçon. Et il y a toujours quelqu’un qui mord. Le plus étonnant dans tout cela, c’est que le Tour de France dure depuis 116 ans et qu’il a su évoluer avec son temps, pour rester un incontournable de notre début d’été.
Vous l’aurez compris, je suis un fan absolu du Tour de France. Et tous les moyens sont bons pour suivre l’étape du jour, surtout si elle est en montagne. Ces dernières années les progrès technologiques m’ont bien aidé, me permettant de regarder les exploits des coureurs même en réunion. Ah l’attaque de Romain Bardet dans l’étape de Saint-Gervais en 2016 tandis qu’un orateur nous entretenait d’une évolution fondamentale d’un de nos systèmes d’information ! Je me rappelle de ce collègue qui, tous les après-midis de juillet, disparaissait nous disant qu’il allait « dans le réseau ». Il revenait tranquillement sur le coup des 17h30 une fois l’étape arrivée. On voyait encore le maillot jaune dans son regard, comme on lit AZERTY sur le nez de Gaston quand il fait des siestes sur sa machine à écrire.
Quelque part entre sport et oisiveté
D’où peut me venir cet intérêt immodéré ? Me transformant en cancre notoire, prêts à faire l’école buissonnière pour me plonger dans le bruit des hélicoptères et des klaxons à l’italienne ? Les raisons sont sans doute multiples.
Bien sûr de la fascination pour ces athlètes capables de faire 4000 kilomètres en trois semaines. De l’envie pour ces ascensions de col, dans de splendides paysages de montagne. De la nostalgie en revoyant les images sépias des coureurs sur des routes pas encore goudronnées, au milieu de paysages vierges d’une France de l’après-guerre. Un retour vers mon enfance. Vers le transistor du voisin qui se mettait en route tous les jours vers les 16 heures et retransmettaient les voix des reporters « sur la route du tour ».
Le Tour de France, c’est une course mais aussi une ambiance. Une colonie de vacances de trois semaines. De nombreux penseurs ou philosophes ont étudié et théorisé le phénomène. Même le grand Roland Barthes y est allé de son analyse. Mythe du héros face à la nature. Grande communion populaire, laïque et gratuite. Libération des corps par le sport. Le Tour c’est le sport qui se mêle aux vacances. Les exploits sportifs qui cohabitent avec les échantillons de saucissons lancés par la caravane publicitaire. Signe des temps, une trentaine de députés et six ONG ont dénoncé la pollution engendrée par les 15 millions d’objets publicitaires distribuées par la caravane publicitaire. A quand des voitures électriques pour les directeurs sportifs ?
La petite reine… du marketing
Au-delà de la caravane publicitaire, le Tour de France est un barnum publicitaire géant. La course est gérée par ASO (Amaury Sport Organisation). Le groupe peut compter sur ses deux journaux, L’Equipe et Le Parisien, pour faire la promotion de sa course. Il est vrai que c’est L’Auto, l’ancêtre de L’Equipe qui est à l’origine du premier Tour de France en 1903. ASO a su faire du Tour un événement incontournable du calendrier cycliste. Tant par son prestige que par ses dotations. L’événement attire les sponsors. Et donc les meilleurs coureurs. Qui eux-mêmes attirent les sponsors.
Reconnaissons que les organisateurs ont su prendre le virage de la médiatisation au cours des vingt dernières années. Le parcours, l’enchaînement des étapes. Tout est fait pour éviter que la course ne tombe dans l’ennui. Quitte à dire adieu aux sprints massifs et à nos siestes réparatrices devant la télé.
Conséquence, le Tour de France a largement pris le pas sur ses rivaux qu’étaient le Tour d’Italie et le Tour d’Espagne. Le Tour de France reste l’objectif numéro 1 des coureurs, le point d’orgue de leur saison. Nombreuses sont les villes prêtes à débourser les 100 000 euros nécessaires à l’accueil d’une étape du Tour (comptez 65 000 € pour une arrivée et 160 000 € pour l’arrivée et le départ). Mieux le Tour est un formidable produit d’exportation, avec des départs d’Allemagne, d’Angleterre ou bien encore de Belgique.
Héros et martyrs du Tour de France
La légende du Tour s’est bâtie sur ses héros. Les Bobet, Anquetil, Merckx, Hinault, d’une époque où le cyclisme était moins scientifique qu’aujourd’hui. D’une époque où les coureurs roulaient sans oreillette ni capteur de puissance. Le Tour, ce sont aussi ses martyrs, sacrifiés sur la route. De Luis Ocana percuté par Eddy Merckx sous le déluge dans la descente du col de Mente en 1971 en passant par Fabio Casartelli, décédé à la suite d’une chute dans la descente du Portet d’Aspet en 1995, les histoires dramatiques sont légions.
Mais les vrais héros du Tour ne sont-ils pas ceux qui ont écrit sa légende, permettant à tous de revivre à distance la fournaise de la montée du Ventoux, la fringale de Merckx dans la montée vers Pra Loup ou bien encore l’odyssée de Louison Bobet dans l’Izoard. Les Antoine Blondin, les Pierre Chany qui ont fait du Tour un véritable roman d’aventure.
La grande pharmacie
Mais le Tour reste sulfureux. C’est aussi ce grand laboratoire pharmaceutique à ciel ouvert. Car le dopage accompagne le Tour depuis ses débuts. Comme le décrivait alors Albert Londres en 1924 dans son reportage sur Les Forçats de la Route où les frères Pelissier évoquaient leur cocktail de cocaïne et de chloroforme. La mort de Tom Simpson en 1967 fut sans doute le révélateur le plus flagrant de l’usage intensif et incontrôlé des potions les plus diverses. Plus comique fut l’exclusion du belge Michel Pollentier en 1978 surpris avec une poche d’urine alors qu’il essayait de tromper la vigilance du contrôle anti-dopage à l’arrivée à L’Alpe d’Huez. Le point d’orgue fut sans doute l’affaire Festina en 1998, qui inaugura le début d’une période extrêmement trouble marquée par la domination du texan Lance Amstrong.
Chaque année Christian Prudhomme, le directeur de l’épreuve, nous promet un tour propre, mais toute domination reste suspecte. Pour preuve les huées ou les jets d’urine que Chris Froome eut à subir ces dernières années dans ses ascensions alpestres.
Le Tour de France une affaire de vieux ?
Néanmoins le Tour a survécu à toutes ses crises. Quand le vainqueur est trop facile, il paraît suspect. En même temps les spectateurs sont toujours aussi nombreux sur le bord des routes. Les cols sont pris d’assaut une semaine avant le passage des coureurs et le succès populaire semble ne pas se démentir. Cependant les audiences télés sont en baisse depuis quelques années. Avec une tendance au vieillissement des téléspectateurs. Ils auraient en moyenne deux fois l’âge des coureurs du peloton.
Alors le Tour ne serait pas tendance chez les millenials ? Le Tour serait donc une madeleine de Proust géante, mais très digeste. C’est vrai qu’il a un côté retour géant dans le passé. A notre enfance. A nos cours de géographie, nous faisant parcourir la France. Le Tour est partagé entre référence au passé et modernité. Tiraillé entre cette douce oisiveté qu’il suscite et une volonté de proposer toujours plus de spectacle à l’image des meilleures séries de Netflix ?
Il est néanmoins temps de conclure cet article, car l’étape arrive ! Et il est temps de savoir qui de Thibault Pinot ou de Julian Alaphilippe saura nous ramener une première victoire française dans le Tour depuis 1985.
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