Je n’ai pas pu résister au plaisir d’écrire un court article sur cette histoire qui a égayé mon week-end. L’art moderne est devenu un business comme les autres. C’est même un business extrêmement lucratif, je vous avais à ce propos raconté l’histoire du sculpteur-businessman Richard Orlinski et de ses démêlés avec l’artiste Xavier Veilhan. L’ artiste anglais Banksy a ce week-end adressé un génial pied de nez à cette dérive affairiste de l’art moderne. Ce coup de communication de génie de l’artiste au visage et à l’identité inconnus interroge sur la marchandisation de l’art. Il consacre également le street art comme une tendance artistique centrale de notre époque.
BANKSY ARTISTE DE STREET ART ENGAGÉ
Je ne connaissais pas Banksy avant cette histoire. Elle m’aura permis de découvrir cet artiste de street art aux oeuvres engagées, libertaires et anti-système, utilisant la technique du pochoir. A l’image des Daft Punk, Banksy un artiste masqué. Nul ne connaît sa véritable identité, ni son visage et il en joue avec talent pour se mettre en scène, lui et ses oeuvres. La notoriété de cet artiste britannique provocateur multi-récidiviste était déjà importante incarnant la montée en puissance des graffitis comme une forme d’art majeure avec leurs musées à ciel ouvert à Miami ou Bogota. Nul doute qu’après cette affaire, il sera plus que jamais l’une des stars mondiales de l’art contemporain.
Mais venons en aux faits. Sotheby’s Londres. L’oeuvre de Banksy Girl with balloon vient d’être adjugée pour 1.2 million de dollars. Le commissaire-priseur a le sourire jusqu’aux oreilles quand soudain on entend un petit bruit de moteur. L’artiste a caché une déchiqueteuse à papier dans le cadre de l’oeuvre qui soudainement s’auto-détruit sous les yeux de la salle ébahie. Le regard médusé des participants à l’enchère (photo de couverture de cet article) est à lui seul une oeuvre d’art. Je ne me lasse pas de regarder en boucle cette vidéo de la scène postée sur Instagram par l’artiste lui-même. Je vous l’avais dit, Banksy a un vrai sens de la mise en scène.
UNE ATTAQUE DU MARCHÉ DE L’ART
Cette affaire apparaît comme une revanche de l’artiste vis-à-vis des marchands d’art. En 2013 pendant la nuit entre le 16 et le 17 février dans un quartier du Nord de Londres, une pan de mur sur lequel avait été peint une fresque de l’artiste est découpé. Quelques jours plus tard, il réapparaît dans une vente aux enchères d’une galerie de Miami mis à prix pour 500.000$. Les habitants du quartier protestent « Bring back our Banksy » soutenus par l’artiste. Mais le galeriste de Miami rétorque que le bout de mur lui a été vendu par le propriétaire du mur déclenchant un vaste débat sur street art et propriété. Rien ne peut donc empêcher la vente. Les fresques de rue de Banksy sont depuis protégées et sous plexiglas.
Sotheby’s a réagi avec humour par l’intermédiaire d’un de ses responsables Alex Branczik « It appears we just got Banksy-ed!”. Ils assurent qu’ils n’étaient pas au courant du coup monté par l’artiste. L’histoire le dira. Ils ont tout de suite compris que cette affaire était en fait pour eux un coup de publicité extraordinaire. Quant à l’heureux propriétaire de l’oeuvre, on peut penser qu’il vient bien involontairement de réaliser l’affaire du siècle. Il est maintenant le propriétaire d’une oeuvre d’art certes déchiquetée mais qui vient de rentrer dans l’histoire. On l’imagine mal demander le remboursement de l’oeuvre. Le business de l’art sait se nourrir des provocations des artistes y compris à son encontre. On peut même dire qu’il en raffole. Le scandale fait vendre…. Comme les humoristes, Banksy sera sans doute plagié.
Mise à jour du 13/10/2018 : une nouvelle oeuvre d’art baptisée : « love is in the bin »
Sans grande surprise, la collectionneuse qui avait acquis l’oeuvre de Banksy avant qu’elle ne se déchiquette lors de la vente aux enchères, a quand même décidé d’acquérir l’oeuvre rebaptisée « Love is in the bin ». Elle témoigne « When the hammer came down last week and the work was shredded, I was at first shocked, but gradually I began to realize that I would end up with my own piece of art history. » Sotheby’s s’en réjouit bruyamment sur Twitter. On ne sait toujours pas à ce jour si l’entreprise de ventes aux enchères était complice de Banksy.
Mise à jour du 24/10/2018 : épilogue de l’affaire Banksy
Épilogue de l’affaire. Dans une nouvelle vidéo postée sur Youtube, Banksy indique qu’il était de mêche avec le vendeur. Il précise en revanche que Sotheby’s n’était pas au courant et surtout que le tableau aurait dû complètement s’auto-détruire. Le buzz a été énorme. La vidéo Instagram postée par Banksy a désormais été vue par plus de 13 millions de personnes.
Mise à jour du 18/06/2019 : Patrick Drahy rachète Sotheby’s la victime de Banksy
Comme un clin d’oeil à la marchandisation de l’art dénoncée par Banksy, Patrick Drahi vient de racheter Sotheby’s pour la modique somme de 3.7 milliards de dollars. Le marché de la vente aux enchères explose au niveau mondial, le prix des œuvres aussi. Le coup d’éclat de Banksy n’aura comme prévu pas vraiment fait d’ombre à Banksy.
Mise à jour du 05/09/2019 : vol d’un pochoir de Banksy
Un pochoir de Banksy a été volé en plein centre de Paris près du Centre Georges Pompidou de Beaubourg. Des voleurs ont découpé le panneau indiquant l’accès au parking souterrain du musée d’art contemporain à l’angle de la rue Rambuteau sur lequel Bansky avait graphé un de ses fameux rats révolutionnaires.
Cette nouvelle actualité autour de Banksy m’inspire tout un tas de question : peut-on un véritablement voler une oeuvre de street art? Ces œuvres ne sont-elles pas par essence éphémères? Faut-il « sacraliser » les murs qui ont reçu des œuvres de street-art? Existe-t-il un marché noir de la revente de bouts de mur volés? Pour répondre à ces questions, Banksy par provocation organisera-t-il le casse du siècle du vol simultané dans une même nuit d’une série de ses œuvres réalisées la nuit précédente?
Deformation professionnelle j’y vois en raccourci la politique monétaire actuelle: une oeuvre de 1.2 m usd, le marche de l’art étant dopé par 10 ans d’exuberance monetaire et il faut bien purger les bulles; passer toute cette survaleur à la broyeuse, c’est ce qui se passe maintenant. Les spectateurs applaudissent tant qu’il ne s’agit pas de leur patrimoine. Le show continue un tour de plus. Bansky, Bundesbank, meme combat?
Bravo pour le jeu de mot Bundesbansky. Si Bansky est la Bundesbank, Sotheby’s est-elle la banque centrale européenne ?