« Kevin tu dois te replier pour aider tes coéquipiers en défense. Tu ne peux pas rester comme ça tranquillement devant à attendre le ballon ». « Je vous assure coach, je le fais du mieux possible. Vous n’avez pas vu tous les efforts que j’ai faits surtout en deuxième mi-temps ». Avec l’arrivée de l’intelligence artificielle dans le sport, du football big data et des football data analyst, cette discussion classique entre un entraîneur et un attaquant appartient désormais au passé. Sa version moderne serait « Kevin tu dois te replier pour aider tes coéquipiers en défense. Comme me l’a indiqué notre data scientist, lors de la seconde mi-temps, tu n’as couru que 4.842 km dont seulement 723 m à haute intensité. Tu étais loin de ton maximum au niveau de tes pulsations cardiaques. » « OK coach, je vais regarder ça avec notre data analyst pour corriger le tir ».
FOOTBALL BIG DATA : UN PETIT BOÎTIER MAGIQUE DANS LE DOS DES JOUEURS
Tout a commencé il y a une vingtaine d’années. Thierry Marzaleck rejoint le staff de l’équipe de France en charge de l’analyse vidéo. On se souvient dans le célèbre film « les Yeux dans les Bleus » du briefing d’avant-match d’Aimé Jacquet pour la finale de 1998. Il y souligne la faiblesse défensive des brésiliens sur coup de pied arrêté mise en lumière par la vidéo. Zidane marquera deux fois sur corner…
Mais, tout cela c’était la préhistoire. Le Mondial russe est placé sous le signe de la technologie. On a beaucoup parlé de l’arrivée de l’arbitrage vidéo mais peu de l’obligation faite par la FIFA à tous les joueurs de porter des boîtiers miniaturisés GPS tracker qui collectent en temps réel leur position sur le terrain, leur vitesse de déplacement, la distance parcourue, leur fréquence cardiaque, le nombre de ballons reçus, les passes réalisées…
Le leader du secteur est la société australienne Catapult qui revendique sur son site Internet l’équipement en petits boîtiers de 1500 équipes professionnelles comme le Paris Saint-Germain, le Bayern Munich, les Wallabies l’équipe australienne de rugby ou encore les Memphis Grizzlies en basket. Elle équipe pendant le Mondial de nombreuses équipes dont l’équipe de France, du Brésil ou encore du Japon. Ses petits boîtiers se fixent dans le dos à l’aide d’une brassière et sont connectés à une série de caméras disposées tout autour du terrain. Ils permettent de modéliser en temps réel les déplacements des 22 acteurs sur la pelouse pendant l’ensemble du match.
L’ARRIVÉE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET DES FOOTBALL DATA ANALYSTS DANS LE STAFF DES EQUIPES
Le métier de Thierry Marzaleck et de ses confrères a bien changé. Les petits boîtiers leur apportent désormais des dizaines de milliers de données à chaque match. Le nerf de la guerre est de savoir les exploiter. Les data analysts sont ainsi devenus des éléments incontournables du staff des grandes équipes de football au même titre que les entraîneurs et les préparateurs physiques. Manchester City le Club possédé par les Emiratis a ainsi un département complet d’analystes employant une dizaine de personnes. La vidéo ci-dessous illustre les fonctionnalités des outils de big data dans le football.
Les applications sont multiples et concernent en premier lieu la tactique. L’entraîneur peut par exemple s’assurer du respect par ses joueurs du respect de son schéma tactique. Gare aux écarts! La data permet également de comparer la pertinence de différentes options tactiques. Elle apporte ainsi des réponses chiffrées à des questions philosophiques passionnantes : a-t-on plus de chances de marquer suite à un long dégagement ou une relance au pied, sur un centre en cherchant une tête ou en jouant un jeu de passes à terre. Quand on mène, vaut-il mieux jouer en contre ou continuer à attaquer? L’excellent magazine Wired titrait ainsi en 2016 « How data analytics killed the Premier League’s long ball game ».
UN IMPACT DE LA TACTIQUE JUSQU’À LA PRÉPARATION PHYSIQUE
La dernière trouvaille des football analytics est le expected goals. Cette statistique permet de mesurer la qualité d’une occasion de but. Sur la base de l’analyse de plusieurs centaines de milliers de buts, elle donne un % de chance de marquer un but en fonction de la position précise du joueur qui s’apprête à tirer et des défenseurs. Elle répond objectivement à l’éternelle interpellation du supporter accoudé au comptoir qui s’époumone « Kevin putain, Kevin, même un poussin l’aurait mise au fond »
Les données collectées sur chaque joueur vont impacter son entraînement et sa préparation physique. Le logiciel Catapult propose une optimisation de la charge d’entraînement entre volume et intensité. Et puis un joueur de football, c’est précieux, de plus en plus précieux. Les logiciels de football big data mettent donc tous en avant comme argument de vente la prévention des blessures en détectant qu’un joueur est proche de ses limites. Prévenir le claquage plutôt que de le guérir, c’est protéger son investissement. La formation norvégienne de Rosenborg indique avoir divisé par deux le nombre de blessures grâce au football big data. Avec la sleep tech, le sommeil des joueurs deviendra aussi un élément de performance.
FOOTBALL BIG DATA : PRÉVOIR LE RÉSULTAT DES MATCHS POUR LES PARIS SPORTIFS
Toutes ces données permettent de nourrir les médias et les commentateurs friands de statistiques. Finis les commentateurs franchouillards à la Thierry Roland. Le commentateur moderne associé à son consultant se sent obligé de commenter les tableaux de chiffres sur la distance parcourue et le nombre de ballons reçus et donnés par chaque joueur. Il en tire de savantes analyses scientifiques illustrées par des infographies toujours plus sophistiquées. On retrouve la même chose au tennis.
Mais l’objectif ultime de toutes ces statistiques est de prédire à l’avance le résultat des matchs comme l’économiste prévoit la croissance à venir. Pour celui qui y arrive, c’est le jackpot grâce aux paris sportifs. Autrefois les bookmakers qui établissaient les cotes étaient des experts du football. Aujourd’hui les cotes sont calculées par les ordinateurs à l’aide de modèles statistiques. Le bookmaker à l’instar du trader dans une salle de marché y ajoutera son feeling de l’instant. L’algorithme créé pour le Mondial par les chercheurs de la German Technische Universitat of Dortmund, de l’Université Technique de Munich et de l’Université de Ghent prévoit une victoire de l’Espagne au Mondial. Nous pourrons d’ici un mois crier au génie ou à l’escroquerie.
LES DATA ANALYSTS DU FOOTBALL MIS EN ÉCHEC AU MONDIAL RUSSE
Mais le football est une bête curieuse : au final, seul marquer des buts compte. J’aime beaucoup l’humilité de Christophe Carling un des analystes pionnier du football big data qui déclarait au journal Le Monde : » il arrive parfois de voir des équipes qui réussissent un match parfait statistiquement parlant, mais ne gagnent pas. On l’a vu lors du match Angleterre-Slovaquie pour l’Euro 2016 : les Anglais ont dominé sans cesse le match statistiquement, mais au final, ils n’ont pas gagné. » La première semaine du Mondial a déjà connu son lot de rebondissements imprévisibles avec la défaite de l’Allemagne face à une équipe fêtarde du Mexique. Quant aux data analysts espagnols, ils n’ont toujours pas résolu l’équation Ronaldo qui leur a mis trois buts. Ronaldo et Messi pourtant sans doute les deux joueurs aux datas les plus analysées au monde…
Mise à jour du 02/07/218 : l’Espagne éliminée malgré un match parfait en termes de datas
L’Espagne a été éliminée en quart de finales après un match où elle a battu le record du nombre de passes réalisées dans une partie en coupe du monde mais sans parvenir à transformer ces occasions en but. Sans doute un match statistiquement parfait pour nos 3 universités championnes de la data mais la ruine pour les parieurs qui les auraient suivies.
Mise à jour du 15/07/218 : la France championne du Monde contre les datas
On est champion, on est champion!!! On est, on est, on est champion!!! Pourtant les Croates nous ont dominé et ont sans doute fait un match presque statistiquement parfait. Difficile de modéliser le coup de patte de Pogba ou Mbappe. Le Deschamps a encore un coup d’avance sur la machine.
Mise à jour du 18/07/2018 : Deschamps l’entraîneur qui sait transformer la data en coaching victorieux
Je regarde le reportage « les Bleus 2018 au cœur de l’épopée russe » . Debrief vidéo du 1er match face à l’Australie. Deschamps est mécontent et le fait savoir à ses joueurs en s’appuyant sur les big data. Il explique que l’équipe d’Australie a parcouru 111km contre 102km pour l’équipe de France « comme s’ils avaient un joueur de plus ». Il analyse ensuite le nombre de sprints haute fréquence. 5 joueurs australiens en ont réalisés plus de 3 contre seulement 1 français. Il se tourne vers Mbappe et lui dit qu’il n’en n’a pas fait un seul. Au match suivant, Mbappe marquera suite à un sprint….
Mise à jour du 05/04/2019 : le football big data sauvera-t’il le PSG?
Éliminé de la Ligue des Champions, le PSG cherche la recette qui lui permettra de conjurer la malédiction de la coupe. Pour y parvenir, le Club mise sur l’intelligence artificielle et le big data. Le club vient de lancer un concours avec l’Ecole polytechnique, afin de trouver le Mbappe du big data, un génie des maths capable de venir épauler Thomas Tuchel dans ses choix tactiques. Il ne manque plus au club parisien qu’un robot préparateur mental et la victoire lui est promise!!!
Mise à jour du 15/08/2020 : un collectif de footballeurs anglais « Project red card » s’oppose au big data
Russell Slade, ex-entraîneur des équipes Cardiff City et Leyton Orient vient de créer le collectif « Project red card ». Il rassemble aujourd’hui près de 400 footballeurs professionnels. Ce collectif estime que les données collectées grâce au big data sont en fait des données personnelles. Elles doivent donc être traitées comme telles en vertu de l’équivalent britannique de la RGPD.
Les données des footballeurs auraient été exploitées sans leur consentement ce qui pourrait leur donner droit à indemnisation. Une démarche qui a malgré tout assez peu de chance d’aboutir devant la justice.
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Est ce que ca marche aussi pour les arbitres ?
Je n’ai pas trouvé d’infos. En revanche ce système de big data contribue à l’arbitrage vidéo