Vous l’aurez remarqué, les sujets de nos articles sont souvent tirés de notre quotidien. Comment en sommes-nous arrivés cette semaine à traiter des sites de rencontre ? Certes nous sommes en mai, le mois des ponts, de l’insouciance, mais tout de même. En fait tout est parti d’une statistique assez spectaculaire. Une étude a été menée aux Etats-Unis, montrant que 90% des personnes interrogées avaient fréquenté un site ou une appli de rencontre en ligne. Sur ce même échantillon, 40% des couples hétérosexuels et 60% des couples homosexuels se sont rencontrés grâce à un site. En vingt ans, la façon de se rencontrer, de se séduire et de décider de vivre ensemble a donc radicalement changé.
Finies les rencontres dans les mariages ou au bureau, deux pourvoyeurs traditionnels de couples. Désormais rien n’est plus simple que de créer son profil et de se lancer dans une séduction numérique à tout va. La magie offerte par internet réside dans la multiplicité et l’infinité des profils proposés. Mieux le machine learning permet de traiter les données des millions de candidats afin de trouver les points communs entre eux. Alors que la probabilité que vous rencontriez un célibataire ayant les mêmes centres d’intérêt que vous et susceptible de vous plaire dans un mariage reste assez proche de zéro, les sites de rencontre sur internet offre a piori une probabilité beaucoup plus forte.
DES SITES AGENCE MATRIMONIALE 2.0
Internet ne serait-il pas simplement la version moderne de la traditionnelle agence matrimoniale ? Ce que l’agence faisait en rapprochant des profils et en les mettant en contact, ce sont désormais des machines qui le font avec une capacité de calcul décuplée et une ouverture sur le monde beaucoup plus large. Dans les années 70, un anglais, John Patterson, avait senti ce besoin d’avoir recours à des machines pour favoriser le destin. Il avait lancé DATELINE, un ordinateur capable de trouver des profils compatibles parmi ses 50 000 adhérents. En plus de son agence assistée par ordinateur, Patterson avait lancé un bar destiné à favoriser les rencontres, un magazine. Il avait même une agence de voyagepour organiser des voyages entre célibataires.
Ça ne vous rappelle rien ? Les soirées à thème Meetic par exemple ? Aujourd’hui, l’offre ne cesse de se diversifier. Depuis le lancement de Match.com, de Meetic ou encore de Tinder, les sites de rencontre se déclinent de manière thématique. Le site Tallfriends permet à des personnes de haute taille de se rencontrer. Le site Bristlr s’adresse aux femmes qui aiment les hommes à barbe. Veg permet à des vegans de se rencontrer ailleurs que dans une boucherie…
On estime que 9000 personnes travaillent directement pour ce qu’on appelle désormais l’industrie du match making. Cette dernière est valorisée 4 milliards de dollars. De l’emploi, des dollars, une immense diversité. Voilà qui ressemble à un conte de fée avec à la fin une vie heureuse et beaucoup d’enfants.
DES SITES DE RENCONTRE SOUS ALGORITHME
Cependant, comme nous avions eu l’occasion de le voir à propos des algorithmes qui seront amenés à gérer les véhicules autonomes, leur programmation recèle un certain nombre de questions morales. Ce sont en effet des algorithmes qui vont décider que deux profils peuvent être mis en relation. Mais aussi de votre classement dans la pile de profils proposés. Comme sur Google, il y a un SEO score de la rencontre. Dès lors sur quoi repose cette prise de décision ? Quel algorithme se substitue à notre jugement, à notre personnalité qui font que nous allons être attiré et abordé une personne ?
A priori, la logique de mise en relation est assez simple. Des centres d’intérêt partagés, mais aussi l’activité sur le site, l’envoi de messages. Néanmoins tout ne serait pas si fleur bleue. Tinder, géant du domaine avec 2 milliards de mise en relation par jour et 1 million de rencontres par semaine, a été accusé d’évaluer le QI de ses utilisateurs en fonction de la longueur ou de la complexité des mots employés de ses messages. Evaluation qui influençait ensuite les profils proposés. Nous n’étions pas si loin des systèmes de notation sociale à la chinoise social credit system.
L’ALGORITHME DE TINDER CRITIQUÉ
Au mois de mars 2019, le site de rencontre en ligne a abandonné l’utilisation de l’Elo Score. L’Elo Score est inspiré des échecs et sert à mesurer la désirabilité. Jonathan Badeen, vice-président innovation produit, le décrit de la façon suivante : « Chaque fois que vous jouez contre quelqu’un avec un score très élevé, vous gagnez plus de points que si vous jouiez contre quelqu’un avec un score plus bas ». La question restant en suspens étant comment je peux matcher avec une personne ayant un score supérieur au miens.
Mais certains, à l’image de Judith Duportail, ont accusé l’Elo Score d’intégrer des critères supplémentaires, comme le salaire, la race ou bien le sexe. Allant jusqu’à attribuer des points bonus pour une homme ayant fait de hautes études et gagnant beaucoup d’argent et à l’inverse des points malus à une femme ayant le même profil. Avec pour conséquence de favoriser des mises en relation entre homme vieux et riche et femme jeune et désargentée ?
Ne serions-nous pas dans une caricature un peu extrême ? Néanmoins, ces débats ont le mérite de poser la question de l’influence de la technologie sur nos comportements, sur nos décisions et sur nos vies. Et plus globalement sur nos modèles de société. Facebook a tendance à vous proposer des contenus en lien avec vos centres d’intérêt. Cela crée à la longue une réduction de la diversité des points de vue. Le phénomène risque ici se reproduire.
SITES DE RENCONTRE : ENTRE-SOI OU OUVERTURE ?
C’est sans doute là que réside une forme de déception. Le génie de l’internet c’est d’ouvrir le monde, d’offrir une diversité et une ouverture sans fin. Or ce qu’on reproche aux algorithmes, on peut aussi le reprocher aux modèles précédents de rencontre. Le bureau ou bien une fête de mariage ont plutôt tendance à réunir des personnes de même profil. Ainsi internet ne permettrait pas de casser cet entre-soi que le monde a toujours connu ?
Pas si sûr : les chercheurs de l’université de Stanford estiment en effet que les sites de rencontre en ligne ont conduit à un plus grand nombre de mariages interraciaux et à un plus grand nombre de couples ayant des religions et des niveaux d’éducation différents.
Alors contrairement à Big Flo et Oli dans la chanson Demain, on ne cherchera plus forcément « à éviter de dire, « les enfants j’ai rencontré maman sur Tinder » »…