Pourquoi il faut lire « la France sous nos yeux » de Jérôme Fourquet en cette année électorale?

Son précédent ouvrage « l’archipel français » fut en 2019 un surprenant best-seller. Il y décrivait avec brio la profonde transformation en 50 ans de notre pays avec l’abandon massif du modèle familial catholique traditionnel remplacé par un pays fragmenté en multiples îles communautaires. Le livre prémonitoire de la crise des gilets jaunes s’était révélé particulièrement éclairant sur les multiples fractures de notre pays. Deux ans après, Jérôme Fourquet revient avec un nouveau livre « la France sous nos yeux » co-écrit avec le journaliste Jean-Laurent Cassely. Il nous embarque dans un captivant tour de la France d’aujourd’hui. Je vous recommande cette lecture très instructive en cette année électorale. Je vous en livre quelques facettes.

« La France sous nos yeux » a changé mais pas nos lunettes pour en parler

La France d’aujourd’hui n’a plus grand chose à voir avec celle des années 80, il y a 40 ans. Et pourtant nous continuons à en parler comme si nous venions de sortir des 30 glorieuses. C’est en partant de ce constat que Jérôme Fourquet nous emmène en voyage dans la France d’aujourd’hui.

Le voyage donne parfois le tournis tant la métamorphose est profonde. « Je ne reconnais plus mon pays » nous disent une large part de nos concitoyens. En entendant cette phrase, on pense immédiatement à l’immigration surtout en ce moment. Le sujet n’est pas central dans cet ouvrage contrairement au précédent. Le livre nous montre que les Français ont bien d’autres raisons d’être déboussolés tant l’évolution du pays est vertigineuse.

Pour ce voyage, les auteurs s’appuient sur un passionnant croisement de différentes disciplines : économie, sociologie, démographie, géographie (l’ouvrage compte plusieurs dizaines de cartes), statistiques. Du macro au micro, ils nous racontent d' »étonnantes » histoires de la France d’aujourd’hui.

« La France sous nos yeux » est largement désindustrialisée

A l’école, nous avons tous appris que l’économie se divisait en 3 secteurs : secteur primaire, secteur secondaire et secteur tertiaire. Dans la France d’aujourd’hui, le secteur primaire a quasiment disparu. Les mines ont fermé, la pêche est une activité économique marginale. Quant aux agriculteurs, ils ne sont « plus que » 400.000 en France soit 1.5% de la population active. Leur nombre a été divisé par 4 depuis 40 ans. Il a encore baissé de plus de 20% ces 10 dernières années.

Quant à l’industrie, elle ne représente plus que 13.3% des emplois. Au-delà de ce chiffre relativement abstrait, Jérôme Fourquet nous fait toucher du doigt les conséquences physiques de cette désindustrialisation sur le territoire.

Tonnerre dans l’Yonne : la population y a baissé de 30% en 30 ans suite à la fermeture des principales usines de la ville

Il nous emmène à Tonnerre dans l’Yonne. Cette ville autrefois prospère a vu ses usines fermer une à une. Elle ne s’en est jamais remise. Même constat pour Lannion en Bretagne ancien eldorado des télécoms, victime de la vision calamiteuse d’entreprise « fabless » du PDG d’Alcatel. Les descriptions de cette France des villes petites et moyennes vidée de leurs industries ne sont pas sans rappeler celles de la « Rust Belt » américaine.

La Ciotat, elle, s’est complétement reconvertie. Le chantier naval principale activité de la ville ferme en 1989. Après un brutal déclin, la ville se tourne notamment vers le tourisme avec son port de plaisance. Elle attire vacanciers, retraités mais aussi des marseillais cherchant un meilleur confort de vie et quelques entreprises technologiques (Thales Gemalto…). Le chantier naval s’est désormais spécialisé… dans la réparation de yacht! La ville a retrouvé une croissance démographique importante, une reconversion vers les services et les loisirs « à l’image de celle de la France d’après » nous disent les auteurs.

Consommation et loisirs sont les deux mamelles de la France

La France sous nos yeux est effectivement devenue une économie de services. La consommation y joue un rôle central. Jérôme Fourquet nous décrit par le menu la France des centres commerciaux, des villages de marques, la France « Amazon » des plateformes logistique usines des temps modernes avec son nouveau prolétariat.

Pélerinage des temps modernes : 75% des moins de 35 ans ont été à Disneyland Paris

Au sein de la consommation, l’ouvrage revient en détails sur la passion française pour les loisirs. Ils occupent plus que jamais une place centrale dans la vie des Français avec une baisse sensible du nombre moyen d’heures travaillées (de 1817 heures/an en 1988 à 1600 heures/an en 2008). Symbole de cette civilisation des loisirs, le succès des parcs d’attraction : de Disneyland Paris, au Parc Astérix en passant par le Puy du Fou ou le Zoo de Beauval (qui a détrôné Chambord comme lieu le plus visité de la Vallée de la Loire).

Les chiffres sur Disneyland Paris sont particulièrement frappants. Le lieu touristique accueille près de 15 millions de visiteurs par an (2 fois plus que le Louvre) dont la moitié sont français. 75% des moins de 35 ans se sont rendus dans ce nouveau lieu de « pèlerinage » ce qui fait dire à l’auteur « la visite du célèbre parc est devenue une sorte de passage obligé pour la jeunesse de la France d’après ». 

Recomposition territoriale de la France « Triple A » à la France « Plaza majoritaire »

Désindustrialisation, économie des services, civilisation des loisirs, ces tendances de fond ont reformaté en profondeur la géographie française. Les auteurs nous parlent de la France « Triple A » du centre des grandes métropoles et des lieux touristiques de prestige. Les prix de l’immobilier s’y envolent année après année poussant les classes moyennes à quitter ces territoires. Elles s’installent alors en proche périphérie des villes où l’on assiste de Pantin à Villeurbanne à la gentrification de certains quartiers de villes populaires.

En termes d’urbanisme, le livre décrypte une autre passion française : celle de la maison individuelle dans laquelle vit plus d’un Français sur deux et à laquelle aspire deux tiers d’entre eux. Le livre parle d’une France « Plaza majoritaire » en référence aux émissions à succès de l’agent immobilier Stéphane Plaza. Il dépeint la France des zones pavillonnaires avec sa culture du jardin et du barbecue et ses objets fétiche comme le fameux barbecue Weber et qui construit aujourd’hui massivement des piscines individuelles.

La voiture, les centres commerciaux jouent un rôle central dans la vie de cette France pavillonnaire. Une France qui n’est pas directement sous les yeux de Parisiens comme moi et des technocrates qui nous gouvernent. Deux îles de l’Archipel qui ne se comprennent plus. Illustration du moment : le film « les Bodin’s en Thaïlande » cartonne au box office en province alors qu’il a quasiment disparu des écrans parisiens.

Fragmentation sociale, démoyennisation et gilets jaunes

Tout cela conduit bien entendu les auteurs à nous reparler du mouvement des gilets jaunes qui combine toutes les tendances évoquées jusqu’ici. Le mouvement n’est pas né dans les usines mais sur les ronds-points où se sont réunis les gilets jaunes issus majoritairement de ce nouveau prolétariat de l’économie services : c’est la France Amazon (chauffeurs routiers, caristes…), la France des auto-entrepreneurs, la France des services à la personne (aides soignantes, aides ménagères).

On assiste à ce que les auteurs appellent un phénomène de « démoyennisation » : le camping, les grandes marques agro-alimentaires montent en gamme, les VVF ont disparu remplacé par les clubs Belambra. Une partie de la population n’a plus accès à ces produits de masse dans une société où la consommation est devenue statutaire. Alors quand Intermarché fait une promo exceptionnelle sur le Nutella, c’est l’émeute.

Gilets jaunes Bordeaux

 

A cela s’ajoute le logement. J’avais été frappé par la virulence des manifestations à Bordeaux ou à Nantes des villes pourtant symboles de dynamisme et de réussite ces 20 dernières années. Les auteurs analysent dans le détail la géographie de la région bordelaise avec un contraste sociologique de plus en plus marqué entre la ville-centre et la première couronne où les prix de l’immobilier se sont envolés reléguant les classes populaires dans une Gironde Périphérique beaucoup plus pauvre.

L’Américanisation de la France sous nos yeux

L’influence américaine apparaît en filigrane tout au long du livre. Le mode des vies des zones pavillonnaires rappelle indubitablement celui des « suburbs » et de leur « shopping malls ». Les blockbusters américains surclassent désormais les films français. Et on compte près de 1500 McDo en France. 46% des moins de 35 ans s’y rendent au moins une fois par mois. On assiste au grand remplacement de la blanquette de veau par le burger.

Danseurs de country dans un des 2000 clubs de l’Hexagone

A chaque milieu social son « rêve américain ». Les élites françaises rêvent de Manhattan, de Sillicon Valley et de « start-up nation » et avant le Covid les « learning expedition » en Californie faisaient fureur dans les grands groupes. Quant aux classes populaires, elles sont de plus en plus séduites par la danse country. On compte plus de 2000 clubs de danse country dans tout le pays. Dans les zones industrielles, Buffalo Grill avec son imaginaire « cow-boy » a largement détrôné la franchouillarde chaumière Courtepaille. Aya Nakamura, PNL, le hip hop, la pop urbaine ont traversé l’Atlantique éclipsant progressivement la variété française.

Astérix le Gaulois aurait-il cédé à l’envahisseur yankee? C’était sans compter sur la contre un autre phénomène étonnant : la contre-attaque du samouraï. Le livre nous décrit de manière croustillante la percée de la culture nipponne : des sushis en passant par les mangas. Incontournable surtout si vous avez des ados à la maison!!!!

Commentaires (2)
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  • C Williamson

    Bravo pour cet article. L’ archipel français était effectivement passionnant ! Pour Lannion tu es dur avec Alcatel, finalement ce ne sont pas eux qui ont inventé la concurrence mondiale et la non compétitivité de la France.

    • Ban500

      Merci Cédric de ton commentaire. Tu as raison qu’on ne peut pas blâmer le seul Alcatel pour la chute de la tech européenne. Il n’empêche que la vision du PDG d’Alcatel de l »époque d’un groupe sans usine était mortifère.