Libra la future monnaie de Facebook

Facebook a annoncé la création en 2020 de sa propre monnaie. Libra sera une crypto-monnaie utilisant la technologie Blockchain comme le bitcoin. La création monétaire était jusqu’à présent le privilège des souverains ou des états. Au Moyen-Âge, le faux-monnayage était d’ailleurs considéré comme un crime de lèse-majesté. Souveraineté et monnaie sont intimement liés comme on l’a vu dans les débats enflammés autour de l’Euro. Une entreprise privée qui se met « à battre monnaie » selon l’expression consacrée, voilà donc un événement considérable. Facebook réussira-t’il son pari de fédérer les acteurs du e-commerce face aux états? Le combat est incertain. Le tour de table réuni par Facebook : Uber, Visa, Ebay, Vodafone, Booking…. est impressionnant.  Après un lancement en fanfare, la levée de bouclier du G7 et de la Fed fragilisent le projet au point qu’un acteur majeur comme Paypal décide de quitter le navire. Étonnante Époque ne pouvait passer à côté de ce feuilleton du Libra.

« Et le prince seul a droit de battre monnaie attendu que lui seul a droit d’exiger que son témoignage fasse autorité parmi tout un peuple »  Jean-Jacques Rousseau l’Emile 

Libra une nouvelle crypto-monnaie

Définitions

La blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle

La crypto-monnaie, ou monnaie cryptographique, est une monnaie 100% électronique, virtuelle. Le principe d’échelle de valeur qui la définit est le même que celui des monnaies courantes. Mais sa différence, c’est qu’elle est uniquement virtuelle. L’autre différence, c’est que cette monnaie est cryptée, c’est-à-dire qu’elle n’est utilisable que par une personne possédant le code permettant de décrypter la monnaie. 

L’histoire de la monnaie est aussi une histoire technologique. La pièce de monnaie se développe avec la métallurgie. Le billet de banque est indissociable des techniques d’imprimerie, la carte de paiement de l’électronique… L’informatique a amené une dématérialisation sans précédent de la monnaie. Il n’est donc guère surprenant qu’Internet apporte sa pierre à l’édifice de la création technologique monétaire pour encore faciliter les échanges. Marc Zuckerberg décrit d’ailleurs ainsi son ambition : « envoyer de l’argent à quelqu’un devrait être aussi simple que de lui envoyer une photo ».

Comme le bitcoin, Libra sera une crypto-monnaie c’est-à- dire une monnaie électronique virtuelle. Ne vous attendez (ou au moins pas tout de suite) à voir circuler des pièces et des billets à l’effigie de Marc Zuckerberg. Elle utilisera la technologie de la blockchain. Je ne suis pas expert en la matière. Comme pour l’immense majorité, son fonctionnement demeure obscur pour moi. Mais il faut retenir que cette technologie permet des transactions sécurisées, cryptées de manière décentralisée. Comme l’écrit le mathématicien Jean-Paul Delahaye, il faut s’imaginer « un très grand cahier, que tout le monde peut lire librement et gratuitement, sur lequel tout le monde peut écrire, mais qui est impossible à effacer et indestructible. »

Libra un nouveau mode de paiement en ligne encore plus simple

Libra permettra donc aux 2.4 milliards d’utilisateurs de l’environnement Facebook (Facebook mais aussi Instagram, Whatsapp ou Messenger) d’acheter des produits ou des services. Les particuliers pourront également se transférer des fonds en Libra. Pour rendre son éco-système incontournable, Facebook a choisi de s’associer dans le projet Libra à de puissants partenaires. On parle dans le tour de table de Libra de Visa-Mastercard, Paypal, Spotify, Uber, Booking.com ou encore Illiad la maison-mère de Free. On pourrait donc demain payer ses vacances sur Booking en Libra ou encore plus « fashion » louer une trottinette électrique Uber avec la monnaie virtuelle.

Avec ce projet, Facebook va un cran plus loin dans la dématérialisation de la monnaie. Les BATX chinois avec leurs systèmes Alipay ou WeChat Pay avaient déjà ringardisé la carte bancaire. Dans la quête au toujours plus facile, toujours plus simple, il semblait donc logique que Facebook mais aussi sans doute demain Amazon et les autres GAFA se lancent dans ces nouvelles technologies de paiement. Mais le projet de Facebook va plus loin. Il ne se limite pas à la création d’un nouveau mode de paiement plus pratique comme Alipay. La création d’une nouvelle monnaie possède indiscutablement une dimension politique et idéologique que je vous propose maintenant d’explorer.

Libra un projet imprégné de l’idéologie libertarienne

La symbolique autour du projet Libra est riche. Il faut toujours s’intéresser aux mots.  Au 1er sens, Libra c’est une unité de mesure la livre : Libra la livre sterling numérique. Mais derrière le mot Libra, il y a bien sûr le mot libre. Facebook a choisi d’appeler sa crypto-monnaie Libra et non pas « Quick » ou « Easy ». Libra permettrait de nous libérer. De nous libérer de quoi au fait? Du dollar, de l’Euro, du Yen? Et derrière des états souverains, des gouvernements.

Je ne peux m’empêcher de voir derrière le projet Libra une dimension idéologique. « Minimum government, maximum freedom » telle est la devise des libertariens. Comme nous l’avions évoqué dans l’article pourquoi les GAFA font tout pour ne pas payer d’impôt, la Silicon Valley est profondément imprégnée par cette idéologie libertarienne. Monnaie et souveraineté étatique sont intimement liés. Cette initiative serait un nouveau coup de boutoir des disrupteurs du numérique contre l’Etat. Je vous invite à ce propos à lire le très intéressant éditorial de Gaspard Koenig paru dans les Echos intitulé Pourquoi il faut dire non à l’Etat Facebook. 

Une gouvernance sur le modèle des banques centrales

Monnaie et confiance vont de pair. Facebook n’étant pas un état, il est fondamental pour l’entreprise d’apporter des garanties aux utilisateurs futurs de Libra. L’histoire de la monnaie est pleine d’innovations qui se sont mal terminées pour « les early adopters ». Les deux premières tentatives de création de billets de banque en France et le système de John Law se terminèrent par des banqueroutes retentissantes. Le Bitcoin a défrayé la chronique ces dernières années par sa volatilité spéculative.

Pour éviter ces déboires, Facebook a choisi de ne pas faire de Libra non pas une monnaie spéculative mais plutôt une « stable coin » avec un taux de change dont l’évolution sera limitée et encadrée, assise sur un panier de devises. La gouvernance serait assurée par une fondation sise à Genève. Le choix de la ville est là aussi symbolique. Genève est connue comme le siège de nombreuses institutions internationales et financières.

Les partenaires de Libra sélectionnés par Facebook se verront proposer d’opérer un des 100 nœuds du réseau pour la somme de 10 millions de dollars l’unité. La fondation disposera donc d’un trésor de guerre de 1 milliard de dollars garant de la stabilité du système et éviter la spéculation. Chaque partenaire disposera d’un siège de représentation au sein de la fondation qui sera une espèce de banque centrale du Libra.

Il y a un côté féodal dans cette organisation. Le prince des marchands Zuckerberg rassemble autour de lui ses barons dans une sorte guilde des E-commerçants. Une guilde en quête d’argent certainement, mais aussi en quête de pouvoir face aux états. Libra annonce d’aillleurs clairement que ses premières cibles seront les états aux monnaies vacillantes. Les états laisseront-ils faire? Y-aura-t-il des combats comme sur le sujet de la taxation des GAFAM? Quelle régulation autour de ces nouvelles monnaies? Tournant majeur ou tempête dans un verre d’eau. A suivre…

Mise à jour du 05/07/219 : le Congrès Américain réagit 

On attendait une réponse des états face au défi potentiel que constitue Libra pour leur souveraineté. C’est chose faite. Maxine Waters la Représentante démocrate qui dirige la commission des services financiers de la Chambre des Représentants a écrit avec 4 de ses collègues une lettre ouverte à Facebook. « Il semble que ces produits pourraient se prêter à un tout nouveau système financier mondial basé en Suisse et avec l’objectif de rivaliser avec la monnaie américaine et le dollar. Cela soulève de sérieuses préoccupations en matière de vie privée, de commerce, de sécurité nationale et de politique monétaire. »  Ils jugent que les risques liés à Libra n’ont pas été suffisamment évalués et réclament en conséquence un moratoire sur sa mise en oeuvre.

Cette lettre fait suite à la convocation de David Marcus, le responsable du projet Libra, par la commission bancaire du Sénat à majorité républicaine. Dans cette affaire, démocrates et républicains semblent à ce stade faire front commun face à Facebook et ses partenaires

Mise à jour du 19/07/219 : le Libra sous surveillance du G7

Les ministres des finances du G7 réunis à Chantilly ont collectivement exprimé leur inquiétude face au projet Libra. Ainsi le secrétaire d’Etat au trésor  américain Steven Mnuchin a-t-il affirmé « Le Trésor a de très grandes inquiétudes sur le libra, qui peut être mal utilisé pour blanchir de l’argent ou financer le terrorisme ». Ses homologues français et allemands ont eux aussi insisté sur l’absence de respect par Libra des règles prudentielles habituellement imposées aux monnaies. Un long bras de fer avec Facebook commence.

Mise à jour du 01/08/2019 : Libra ne verra peut-être jamais le jour

Face à la levée de boucliers des états, Facebook semble préparer une retraite en bonne et due forme de son projet de cryptomonnaie Libra. Récemment, Facebook a présenté ses résultats trimestriels aux investisseurs et bien entendu, le projet Libra faisait partie des sujets évoqués.

Dans la section facteurs de risques du rapport qu’il a déposé auprès des autorités américaines, Facebook reconnaît les incertitudes pesant sur la suite du projet. « Nous n´avons aucune expérience préalable significative de la technologie de la monnaie numérique et de la blockchain, ce qui pourrait avoir une incidence défavorable sur notre capacité à développer et à commercialiser avec succès ces produits et services. »

Le prince des marchands s’inclinerait pour cette fois devant les états.

Mise à jour du 09/10/2019 : Paypal se retire du projet Libra

C’est un coup dur pour Facebook, Marc Zuckerberg et Libra. Paypal a officiellement annoncé son retrait du projet Libra. Paypal n’était n’importe quel partenaire. Pionnier du paiement sur Internet, c’était l’un des acteurs clé pour crédibiliser la future monnaie. La rumeur est par ailleurs insistante d’un possible retrait de Visa et Mastercard. Face à la fermeté des états, Libra ne serait-il pas en train de s’effondrer comme un château de cartes?

Mise à jour du 05/11/2019 : le tour de table du Libra se réduit comme peau de chagrin

Après Paypal, le retrait du projet de Visa et Mastercard se confirme. Les acteurs leader du paiement ont renoncé au projet qui était aussi une menace majeure sur leur métier. Booking et eBay se sont également retirés du projet. Le projet prend d’ailleurs du retard avec un lancement repoussé à fin 2020. L’image de Facebook écornée par les scandales à répétition lui revient en boomerang. Mais le projet continue à secouer le monde des banques centrales . Ainsi Bruno le Maire déclarait-il la semaine dernière «nous sommes prêts à réfléchir à une monnaie digitale publique…mais dans le très long terme, car cela pose un certain nombre de difficultés qui mettront du temps à être résolues.»