Jeudi soir. L’arbitre siffle la fin du match au Stade Vélodrome. La fin d’une semaine terrible pour le football de club français. Pour me remonter le moral, je décide d’aller revoir les buts de l’équipe de France lors de la campagne de Russie victorieuse de juillet dernier. Alors que va être donné le coup d’envoi de France-Australie, une publicité apparaît. Je reconnais Robert Pires. Il a toujours sa tête de gendre idéal et vante les mérites d’une société spécialisée dans la réalisation de test ADN et leur analyse à des fins privées. C’est ce qu’on appelle la génomique récréative. Un nouveau business, en pleine expansion, conséquence inattendue du séquençage de l’ADN.
Génomique récréative : en savoir plus sur ses ancêtres grâce à un test ADN
Ainsi, analyser l’ADN ne serait plus réservé aux médecins ou aux polices scientifiques pour confondre les coupables? Comme les techniques de reconnaissance faciale, l’analyse de l’ADN se démocratise. En Amérique du Nord, de multiples start-ups proposent d’analyser un échantillon de votre salive ou de votre sang, notamment pour vous permettre de découvrir vos origines ethniques. Aux Etats-unis, on estime que 8 millions de personnes ont déjà eu recours à ce type d’analyse. Ce genre de tests est particulièrement prisé par les populations afro-américaines descendants d’esclaves.
Le prix d’un test : environ 100 Euros. Ces jours-ci, certains sites proposent même des remises de 25% spécial Halloween ! Un bonbon ou une analyse génétique ?
Un petit point technique s’impose avant d’aller plus loin. Comment l’analyse de l’ADN permet-elle de savoir que vos origines sont Vikings ou bien Mongols ? Certaines portions d’ADN peuvent en effet être liées à des zones géographiques particulières. C’est la notion d’haplogroupe qui peut être assimilé à un groupe d’humains ayant un même ancêtre commun en lignée patrilinéaire ou matrilinéaire. Par exemple, l’haplogroupe maternel H est très commun en Europe (40% des européens le portent) mais quasiment absent en Amérique ou en Australie.
Les entreprises constituent donc des populations de référence pour chaque zone géographique. Si on retrouve chez une personne de nombreux segments de chromosomes que l’on retrouve souvent en Afrique, alors elle a probablement des ancêtres africains. C’est en combinant de multiples marqueurs que l’on obtiendra un résultat fiable.
Des conclusions génétiques dignes des meilleurs romans
Néanmoins il n’existe pas un gène « national ». On n’a pas le gène suédois ou le chromosome malien. On va retrouver des marqueurs, les rapprocher de cette base génétique géographique et en déduire, avec plus ou moins de marge d’erreur, la région d’origine. Du coup on peut s’étonner de la précision des résultats de Robert Pires : 48.5% ibérique, 38.1% italien, 4.2% irlandais / écossais /gallois et 2.8% anglais !
Les cas de découvertes étonnantes ne manquent pas : ainsi cette femme persuadée qu’elle était issue d’une famille d’immigrants irlandais qui découvre que son patrimoine génétique correspond à celui de familles juives d’Europe de l’Est. L’analyse d’ADN, à l’origine purement ludique, se transforme en une quête d’identité digne des meilleurs romans policiers, qui remonte de nombreuses pistes jusqu’à découvrir qu’il y a eu, à un moment donné, un échange de bébé.
Les scientifiques émettent néanmoins quelques doutes quant à la fiabilité de ces tests. Outre le fait que l’histoire des migrations humaines a profondément brassé les populations depuis des siècles et rend délicate la correspondance entre marqueur génétique et localisation, les scientifiques pointent également du doigt l’absence de communication autour de la forte marge d’erreur qui peut exister, notamment lorsqu’on ne combine pas assez de marqueurs.
Génomique récréative : la généalogie privée de son romantisme
Malgré cela, la génomique récréative serait donc la version 2.0 de l’arbre généalogique. Symbole de cette évolution, des groupes Facebook se sont créés permettant de partager des séquences d’ADN. Ainsi le groupe baptisé « DNA Détective » rassemble plus de 60 000 membres qui s’entraident dans la recherche de leurs ancêtres.
Un outil de marketing massif
Si la plupart des start-ups rassurent leurs clients en promettant de ne pas divulguer d’informations personnelles, à terme la tentation peut être forte de monnayer ces informations. Si le site « 23andme » a réglé ses problèmes de trésorerie grâce à l’entrée de Google dans son capital, il n’en demeure pas moins que son projet d’origine est de constituer une biobanque qui pourra être valorisée auprès d’autres industriels ou de la recherche scientifique.
Car les applications commerciales commencent à apparaître : Spotify a récemment annoncé qu’il allait proposer des musiques en fonction de l’origine de ses abonnés. La plate-forme de musique s’est en effet alliée à Ancestry, la plus importante entreprise privée de recherche génétique. L’idée est de proposer aux abonnés des musiques en lien avec leurs origines ethniques, révélées par leur analyse ADN. En une semaine 10 000 personnes se sont inscrites. Si le big data permet de mieux cibler les campagnes marketing ou de rationaliser la préparation des sportifs, l’utilisation des séquences ADN des consommateurs peut se révéler un outil de marketing massif.
Des questions éthiques à venir posées par la génomique récréative
Au-delà du côté ludique et mercantile c’est aussi une question d’usage qui se cache derrière cette génomique. Pourquoi révéler à un individu une très probable future pathologie incurable ? pourquoi briser des équilibres familiaux anciens ? en savoir trop peut vous plonger dans d’affreux tourments. Alors que vous pensiez avoir un grand oncle chevalier teutonique, voilà que vous découvrez qu’il était en réalité originaire de la péninsule ibérique. L’analyse ADN fait s’écrouler le mythe familial et vous obligera à regarder Allemagne – Espagne d’un œil différent.
C’est sans doute pour cela que les pouvoirs publics vont devoir encadrer cette génomique récréative. Pour répondre à toutes ces questions mais également, pour faire en sorte que l’Homme puisse garder un peu de son mystère.