Pernod Ricard fleuron français des spiritueux, entreprise en croissance et prospère est depuis décembre sous pression du fonds vautour Elliott. Celui-ci lui reproche de … ne pas être assez rentable. Venus des Etats Unis, les fonds activistes n’ont jamais été aussi présents. Ces actionnaires agressifs s’attaquent à des proies toujours plus grosses et planent aujourd’hui au desssus de la France et de l’Europe. Pernod Ricard mais aussi Danone, Vivendi ont fait en 2018 fait la rude expérience de se confronter à des activistes comme Elliott, Cevian ou Carl Icahn. En 2019, c’est au tour d’EssilorLuxottica et d’Altran. Face à ces acteurs financiers à l’influence croissante, un récent rapport parlementaire dirigé par Eric Woerth réclame plus de fermeté de la part de l’AMF. Décryptage de l’action de ces acteurs financiers particulièrement agressifs.
Fonds activistes et vautours : quelques définitions
- Les fonds activistes sont des fonds d’investissement qui prennent une participation (généralement minime) dans des sociétés qu’ils estiment mal gérées. Ils cherchent alors à peser sur le management de l’entreprise afin qu’il prenne des décisions qui permettront d’en améliorer rapidement la valeur en bourse.
- Les fonds vautours sont des fonds d’investissement spécialisées dans le rachat à bas prix de la dette d’entreprises en difficultés pour en prendre le contrôle et les restructurer.
- Il convient en théorie de distinguer fonds vautours et activistes. En pratique les mêmes acteurs sont souvent activistes et vautours.
Rapide chronologie de la genèse de ce nouveau type d’actionnaires
1977 : la banque Bear Sterns réalise sur le marché le 1er placement de junk bonds (obligations pourries). Inventés par le financier Michael Milken….
1985 : le raider Carl Icahn prend le contrôle de la compagnie aérienne TWA suite à une OPA financée à l’aide de junk bonds. Il taille dans ses coûts, la dépèce. TWA ne s’en relèvera pas et déposera le bilan en 1993
1989 : la crise des junk bonds conduit à la faillite de la banque Drexel Burnham Lambert de Michael Milken. C’est la fin des raiders. Ils vont se réinventer sous la forme des fonds activistes et vautours
2000 – 2015 : le fonds vautour Elliott rachète à bas prix une partie de la dette Argentine en banqueroute. Après 15 ans de poursuites devant les tribunaux du monde entier, Elliott finit par conclure un accord avec l’Argentine. Cela lui rapporte 2 milliards de $.
Septembre 2018 : mis sous pression par des investisseurs activistes, Elon Musk annonce hâtivement le retrait de Tesla de la cote avant de revenir en arrière. La SEC le contraint alors à abandonner la présidence de Tesla
Fonds activistes : 2018, l’année de tous les records
Ils n’ont jamais eu autant de moyens financiers. Une étude réalisée l’an dernier par McKinsey montrait que les actifs sous gestion des fonds activistes dans le monde avaient été multipliés par trois entre 2012 et 2016, atteignant 152 milliards de dollars. Il faut dire qu’ils ont apporté à leurs investisseurs des rendements particulièrement élevés.
Leur redoutable efficacité se confirme : toujours suivant McKinsey, ils ont ces dernières années remporté leurs affrontements contre le management en place dans 55% des campagnes menées. A tel point que les entreprises préfèrent de plus en plus souvent leur ouvrir la porte de leur conseil d’administration plutôt que de les combattre. Le nombre de sièges qui leur a été attribué cette année est en hausse de 57%.
Les fonds activistes se sentent donc pousser des ailes. Ils s’attaquent à des cibles toujours plus grosses et le phénomène s’internationalise. Il était jusqu’à présent essentiellement anglo-saxon. Ce temps est révolu.
Attirés par des valorisations boursières plus faibles qu’aux Etats Unis, ils s’attaquent aujourd’hui à l’Europe. En 2018, des grands groupes européens comme Danone, Vivendi, Nestlé, Scor, Crédit Suisse ou plus récemment Pernod Ricard ont fait l’objet de campagnes activistes.
Des investisseurs à la communication agressive et des méthodes procédurières
Les techniques financières utilisées par ces fonds ont évolué. Le temps des raiders est fini depuis longtemps. Les fonds activistes ne cherchent plus à prendre le contrôle de leurs cibles. Ils y prennent une participation minoritaire (généralement entre 2% et 5%). Ils vont alors chercher à influencer le cours de l’action à la hausse ou à la baisse.
Leur méthode reste en revanche toujours la même. Les « vautours » s’attaquent généralement à des cibles qu’ils jugent affaiblies : Casino handicapé par un lourd endettement, Pernod Ricard avec à sa tête un jeune PDG. Ils ont ensuite un plan de communication avec des arguments simples voire simplistes, facilement mémorisables.
L’attaque commence généralement par une missive envoyée au management de l’entreprise ciblée et bien entendu rendue publique. Dans le cas de Pernod Ricard, deux arguments massue vont y être répétés en boucle : une marge opérationnelle inférieure de 5 points à celle de son concurrent direct Diageo, un management familial opaque qui privilégierait les intérêts de la famille à ceux des autres actionnaires.
Ce type de communication n’est pas sans rappeler la communication Twitter à la Trump. Inutile de disserter sur sa redoutable efficacité à notre époque de fake news. Elle a pour but de recruter des alliés. Ce peut être d’autres fonds ou des analystes financiers, une meute qui contribuera à la mise à mort de la proie. Les communications les plus violentes sont le fait des activistes qui pratiquent la vente à découvert et parient sur la baisse d’une action jugée surévaluée.
L’assemblée générale sert de tribune pour faire pression sur le conseil d’administration
L’autre volet moins spectaculaire mais tout aussi redoutable des fonds activistes est leur talent procédurier. Ils s’appuient pour cela sur des départements juridiques particulièrement pointus. Les assemblées générales d’actionnaires sont leur terrain de prédilection. Ils y mènent les fameuses « proxy fight » (batailles de procuration). Ils collectent un maximum de procurations de petits actionnaires. Ainsi ils pourront s’opposer aux résolutions du conseil d’administration et de proposer leurs propres résolutions. Si nécessaire, ils n’hésiteront pas à porter le fer sur le terrain judiciaire notamment aux Etats Unis.
Fonds activistes, quel impact sur la stratégie des entreprises ciblées : le cas Pernod Ricard / Elliott
Intéressons nous maintenant de plus près aux exigences formulées par les fonds activistes vis-à-vis des entreprises ciblées. Leurs revendications concernent généralement la refonte de la gouvernance de la société (destitution du PDG, modification de la composition du conseil d’administration…), la cession d’actifs jugés non stratégiques ou insuffisamment rentables et enfin la fusion de la société ou d’une de ses parties avec une autre société.
Le cas Pernod Ricard en constitue une excellente illustration comme le montre le communiqué de presse publié par le fonds. Elliott reproche à Pernod une sous-performance par rapport aux autres acteurs du secteur et propose ses remèdes.
- Gouvernance : « l’analyse d’Elliott suggère que cette sous-performance est notamment liée à une gouvernance d’entreprise inadaptée et à une culture peu ouverte sur l’extérieur… Selon Elliott, combler ces lacunes permettrait de créer de la valeur pour toutes les parties prenantes ».
- Porte-feuille d’actifs : « La croissance externe de la Société a également été décevante, notamment avec l’acquisition pour 6 milliards d’euros d’Absolut en 2008 qui n’a pas répondu aux attentes espérées. En conséquence, la Société a sous-performé de manière significative en termes de rendement total pour ses actionnaires. »
- Fusion avec la recommandation implicite d’un rapprochement avec le leader mondial du secteur Diageo : « Le conseil d’administration devrait rester ouvert aux opportunités rendues possibles dans un secteur bien positionné pour une future consolidation, incluant une fusion avec un autre acteur important du marché des spiritueux, dans le but de dégager plus de valeur pour les actionnaires »
On imagine sans peine l’enthousiasme d’Alexandre Ricard le PDG de Pernod Ricard à la lecture des bons conseils prodigués par la fée créatrice de valeurs Elliott!!!
Au final les fonds activistes des investisseurs nuisibles ou utiles?
Méthodes musclées et agressives, les fonds activistes ne sont guère populaires d’où leur surnom péjoratif de vautours. Ils ont mauvaise presse notamment en Europe. On s’y méfie de ces spéculateurs court-termistes « take the money and run ». Ils seraient l’incarnation d’un capitalisme carnassier poussant les entreprises à prendre des décisions ne bénéficiant qu’aux actionnaires au détriment des salariés.
A l’opposé, leurs défenseurs mettent en avant leur action positive de défense des intérêts des actionnaires minoritaires face à des dirigeants endormis ou centrés sur leur propre situation au détriment de la création de valeur. En poursuivant l’analogie avec le vautour, il n’est pas l’animal le plus populaire mais il joue indiscutablement un rôle bénéfique dans l’ensemble de l’éco-système.
Alors utiles ou nuisibles? Le débat idéologique entre pro et anti-activistes est passionnel et intense y compris aux Etats Unis. Des universitaires américains ont conduit des études approfondies afin d’y apporter des éléments factuels. Des chercheurs de Stanford viennent ainsi de publier en décembre 2018 une étude « Long-Term Economic Consequences of Hedge Fund Activist Interventions » s’appuyant sur l’étude de 1500 cas au cours des 25 dernières années.
Un horizon d’investissement court
Leurs conclusions sont riches d’enseignement. Sur un horizon de 1 à 2 ans, l’intervention d’un fonds activiste a un impact significativement positif sur le rendement des cibles et leur capitalisation boursière. Cela explique bien la prospérité des fonds activistes dont l’horizon d’investissement est justement de 1 à 2 ans.
Ils concluent en revanche que sur le long terme, l’activisme n’a aucun impact ni positif, ni négatif. Seule exception des entreprises connaissant des performances anormales dans la période précédant l’offensive d’un fonds activiste.
Cette étude renvoie donc dos à dos détracteurs et enthousiastes de l’activisme. En attendant, un mois seulement après l’entrée d’Elliott à son capital, Pernod Ricard s’apprête à retoucher sa gouvernance… Le départ du poste de vice-président de son ancien Directeur Général Pierre Pringuet entre 2008-2015 est annoncé. Redoutables vautours!!!!
Mise à jour du 29/06/2019 : la place de Paris en défense contre les fonds activistes
Face à la montée de la pression des activistes, Bercy réfléchit à la défense des entreprises de la place de Paris. Bruno Le Maire a ainsi récemment déclaré : « Les prédateurs ne sont pas les bienvenus au capital des entreprises ». Les pouvoirs publics se posent la question de légiférer. Mais la question n’est pas simple. A l’heure du Brexit, la place de Paris cherche à attirer de nouveaux investisseurs et activités de marché basées jusqu’à présent à la City… difficilement compatible avec un renforcement de la législation. La voie est donc étroite.
Mise à jour du 13/10/2019 : la mission de l’Assemblée Nationale dirigée par Eric Woerth invite à l’AMF à plus de fermeté contre les activistes
2019 confirme l’offensive européenne des fonds activistes. Après un 1er semestre plus calme, les dernières semaines ont vu une recrudescence des campagnes activistes avec notamment des attaques sur EssilorLuxottica et Altran. En parallèle, Eric Woerth vient de remettre un rapport parlementaire. Il recommande une série de mesures techniques pour mieux encadrer l’action des fonds activistes : déclaration de franchissement de seuil à 3% de toute nature contre 5% aujourd’hui, encadrement plus étroit de la vente à découvert, renforcement des moyens humains et financiers de l’AMF….
Mise à jour du 01/08/2020 : bataille autour du contrôle du groupe Lagardère entre le fonds activiste Amber Capital, Vincent Bolloré et Bernard Arnault
La bataille autour de la gouvernance et du contrôle du groupe Lagardère sera un des feuilletons de l’année. Arnaud Lagardère contrôle le groupe avec 7% du capital grâce à la structure du groupe en commandite par actions (SCA). Le fonds activiste Amber Capital de Joseph Oughourlian dénonce la piètre gestion du groupe et cherche à démettre Arnaud Lagardère de ses fonctions. Il réclame notamment la fin de la commandite.
Pour contrer les ambitions d’Amber Capital, Arnaud Lagardère a recherché un chevalier blanc. Vincent Bolloré est venu à son secours au printemps. Mais très vite, il est apparu que le chevalier blanc était aussi devenu prédateur. Bernard Arnault est alors également rentré dans la danse en soutien à Arnaud Lagardère à travers une prise de participation dans la holding personnelle d’Arnaud Lagardère.
2 camps s’opposent désormais avec d’un côté le duo Bolloré – Amber Capital et de l’autre le duo Arnault – Lagardère avec Nicolas Sarkozy en arbitre. Duel de fauves ou de vautours : l’histoire le dira.
Mise à jour du 31/01/2021 : après une courte pause Covid, les fonds activistes sont repartis à l’attaque
L’épidémie de Covid-19 au mois de mars 2020 avait mis leur activité en sourdine avec un nombre de campagnes au plus bas depuis 5 ans. Mais la fin d’année a vu le retour des vautours avec une hausse selon Lazard des campagnes de 128% au dernier trimestre. Parmi les cibles emblématiques figure Intel, attaqué par le fonds Third Point, dont le leadership est menacé par des concurrents mieux positionnés sur le marché des puces pour l’IA.
La France n’est pas en reste. Le consortium d’actionnaires minoritaires mené par Xavier Niel et Léon Bressler a renversé la direction d’Unibail-Rodamco-Westfield. La bataille se poursuit autour de Lagardère.
Et c’est maintenant Danone et son président Emmanuel Faber qui sont sous le feu du fonds activiste Bluebell Capital Partners. Le fonds reproche à Danone ses piètres performances financières doutant de sa capacité à associer création de valeurs pour les actionnaires et création de valeur durable et demande le départ du PDG. Emmanuel Faber avait pourtant annoncé de suppression de 2000 emplois dans ses sièges sociaux visant 1 milliard d’€ d’économies. Apparemment insuffisant pour les vautours!!!
Mise à jour du 15/03/2021 : les fonds activistes ont-ils eu la peau d’Emmanuel Faber?
Depuis le début de l’année l’anglais Bluebell Capital et l’américain Artisan Partners réclamaient le départ d’Emmanuel Faber l’emblématique patron de Danone, apôtre de la RSE et de l’entreprise à mission. Les commentateurs y ont vu l’opposition entre les capitalistes financiers et les tenants d’un nouveau modèle d’entreprise plus durable avec une victoire par KO des méchants.
Pourtant à y regarder de plus près, tout n’est pas si simple. Bluebell Capital et Artisan Partners sont toujours restés ultra-minoritaires dans le capital de Danone. Artisan Partners avait annoncé détenir 3% du capital. C’est bien le conseil d’administration à commencer par Franck Riboud l’ancien PDG qui a lâché Emmanuel Faber. On a vu d’autres conseils solidaires d’un PDG lors d’attaques d’activistes.
Emmanuel Faber a payé des résultats financiers certes décevants mais restant très positifs et un cours de bourse en berne. Cela pose question sur la folie du capitalisme. Mais est il vraiment pertinent d’opposer valeur économique et sociétale comme l’explique cet intéressant article de Philippe Zilberzahn? Il a aussi payé des choix stratégiques et un mode de management autoritaire extrêmement contestés en interne. Cela s’était traduit par de nombreux départs dans le top management du groupe. Le plan massif de suppression d’emplois dans l’encadrement était un bain de sang social, pas vraiment cohérent avec l’image humaniste d’Emmanuel Faber véhiculée dans les médias.