Après Katalin Kariko chercheuse aux découvertes décisives sur l’ARN messager et Ugur Sahin et Özlem Türeci les médecins allemands fondateurs de BioNtech, le 3ème et dernier épisode de notre série sur « les héros du vaccin » s’intéresse à Stéphane Bancel le PDG du laboratoire américain Moderna. Et oui comme son nom le laisse préjuger, notre 3ème héros est français. Curieusement il fait moins la une des médias que le sulfureux Didier Raoult. Et pourtant Moderna, qu’il dirige, a mis au point en moins d’un an l’un des 2 vaccins homologués et l’a rendu milliardaire dans le classement Forbes. La France a un rapport compliqué avec les entrepreneurs à succès. Au-delà de son itinéraire personnel, son parcours nous en dit long sur la puissance et l’extraordinaire capacité d’innovation de l’éco-système des biotechs américaines, au cœur de Boston et sa région, la Silicon Valley de la pharma.
En 2011, Stéphane Bancel quitte la direction de BioMérieux pour rejoindre une start-up d’une vingtaine d’employés
Stéphane Bancel a un parcours classique de la méritocratie à la française. Après une prépa à chez les jésuites à Ginette , il intègre l’Ecole Centrale Paris. Il fait ensuite toute sa carrière dans l’industrie pharmaceutique chez Elli Lilly. Puis il entre chez BioMérieux dont il devient Directeur Général Délégué de 2007 à 2011. Je vous invite à lire le portrait complet que dresse de lui le magazine Vanity Fair.
Mais en 2011, tout bascule. Il décide de quitter BioMérieux pour prendre la tête d’une start-up inconnue de chercheurs spécialisés dans l’ARNm (ARNmessager) baptisée Moderna (Modified RNA). Le pari sur ces nouvelles thérapeutiques est osé. Alain Mérieux le compare d’ailleurs à celui d’Elon Musk sur la voiture électrique.
L’entreprise ne compte alors qu’une vingtaine d’employés. Mais elle est située à Cambridge dans l’éco-système biotech le plus innovant du monde qui gravite autour du MIT (Massachussetts Institute of Technology). On y brasse innovation et dollars en appliquant sans pitié le principe « go big or go home ».
Plus de 2 milliards de dollars de levée de fonds pour financer les travaux de R&D de Moderna
Le patron part alors à la quête d’investisseurs. Premier coup de maître : il réussit, fort des premiers résultats de recherche obtenus par le labo, à faire injecter 240 millions de dollars dans l’entreprise par AstraZeneca. Suivront d’autre investisseurs : Alexion investit 100 millions de dollars pour des recherches sur des maladies rares, Vertex plus de 300 millions sur la table pour des recherches sur la mucoviscidose. Début 2017, Moderna a récolté près de 2 milliards de dollars.
Moderna continue à investir à marche forcée et n’a pourtant pas vraiment sorti de médicaments. Les résultats de 2019 avant la Covid sont éloquents : un modeste chiffre d’affaires de 60 millions de dollars, des dépenses R&D (recherche & développement) de 500 millions de dollars, une perte de 500 millions de dollars… mais une capitalisation boursière de plus de 6 milliards de dollars.
Une croissance à marche forcée
Et pourtant Moderna est une société controversée depuis ses débuts. La culture managériale de l’entreprise, c’est un peu « marche ou crève ». La spectaculaire croissance de l’entreprise dans les premières années se fait dans un climat de travail impitoyable.
En 2016, Moderna se retrouve à la une des médias, non pas pour ses recherches innovantes mais pour sa culture d’entreprise. Le média américain Statnews publie une enquête approfondie qui décrit un climat d’entreprise toxique, se traduisant par un turnover extrêmement élevé dans les équipes de R&D. Il dénonce le management de Stéphane Bancel mêlant ambition dévorante, culture du secret, appât du gain, exigence extrême et autoritarisme.
Comme il l’explique à Vanity Fair, Stéphane Bancel va alors voir dans la Silicon Valley comment les GAFA gèrent croissance et ressources humaines : « J’ai compris qu’on ne faisait pas un super job pour intégrer et former nos nouveaux membres. Moderna, c’était un TGV qui allait à 200 à l’heure et on demandait aux gens de monter alors qu’on ne s’arrêtait pas en gare. » La situation s’est aujourd’hui normalisée.
2020 Moderna met au point son vaccin… en 2 jours grâce au digital
Le 11 janvier 2020, les autorités chinoises publient la séquence génétique des protéines du coronavirus. Stéphane Bancel explique en mars 2020 dans une interview à Libération comment ses équipes associées à celles du NIH (National institutes of health) comment la formule du vaccin était prête dès le 13 janvier. « le vaccin a été fait en deux jours, sur ordinateur, sans jamais avoir le virus. C’est ça qui est extraordinaire : avec notre technologie, nous n’avons pas besoin des cellules du virus pour travailler, ni de passer des mois en usine avant de démarrer des essais cliniques. » Cela permettra à Moderna de démarrer les essais cliniques sur le vaccin dès début mars avant même le 1er confinement.
Moderna vaut désormais 44 milliards de $, rendant Stéphane Bancel milliardaire
Stéphane Bancel prédit alors un vaccin disponible pour l’hiver 2021-2022 après 12 à 18 mois d’essais cliniques. Mais la pression de la maladie permet encore à Moderna d’accélérer. Au mois de mai, la société lève 1.3 milliards de dollars en une heure sur les marchés financiers afin de développer sa capacité de production.
Le vaccin sera finalement prêt dès fin 2020 et Moderna prévoit d’en vendre entre 500 millions et 1 milliard de doses en 2021.
Rançon du succès, le cours de l’action Moderna a explosé cette année passant de 20$ à 120$. La valorisation de la société est désormais de plus de 40 milliards de $. Stéphane Bancel en possède 9%. Il a donc rejoint le club fermé des entrepreneurs milliardaires.
Stéphane Bancel critique vertement la lenteur l’Union Européenne dans ses commandes de vaccin
Depuis début janvier, Stéphane Bancel se fait plus médiatique en Europe avec une attaque frontale contre l’Union Européenne. Visiblement les négociations avec les acheteurs de vaccins de l’UE ne se sont pas bien passées. Rugueux et obstiné, Stéphane Bancel entend le faire savoir pour pousser ses pions. Il reproche à la bureaucratie européenne sa lenteur et ses conséquences sur la vaccination : « si l’Europe voulait davantage de vaccins pour la fin d’année 2021, il faudrait les commander dès maintenant. L’anticipation est cruciale. L’Europe en manque actuellement. »
Il critique le tropisme européen qui aurait conduit l’UE à privilégier les laboratoires européens remuant le couteau dans la plaie de l’échec de Sanofi. Et puis, le vaccin Astra Zeneca arrive et il est moins cher. Il est donc urgent de pousser les commandes. Businessman nous disions-vous!!!
Le vaccin contre la Covid-19 et ses héros, une histoire de notre « Etonnante Epoque »
Alors que retenir de ces 3 histoires. D’abord un passionnant rapport au temps : 30 ans, 10 ans, 2 jours. 30 ans de recherche fondamentale pour rendre l’ARNm tolérable par l’organisme, 10 ans de recherche appliquée pour sortir les premiers traitements, 2 jours pour la mise au point du vaccin grâce au digital. Vertigineux mélange entre temps court et temps long.
Ensuite ce vaccin est une histoire de la mondialisation. Nos héros sont tous des immigrés. Je ne crois pas à une pure coïncidence. En tout cas, la course au vaccin fut bien mondiale de la Chine, aux Etats Unis en passant par l’Allemagne, la France, la Turquie ou la Russie. On en retiendra là aussi un vertigineux mélange entre coopération internationale et concurrence acharnée.
A la fin, ce sont deux start-ups de la biotech Moderna et BioNTech qui ont gagné la bataille devant les labos pharmaceutiques mastodontes du secteur. Ce développement illustre une nouvelle fois la fantastique capacité d’innovation du capitalisme, de ses start-ups et ses fonds d’investissement ou comment l’intérêt particulier à but hautement lucratif finit par rejoindre l’intérêt collectif. Il a fallu le risque de milliards d’investissements privés pour que Moderna et BioNTec sortent leurs vaccins. Ce vaccin dépasse donc le succès individuel de quelques entrepreneurs, c’est aussi le succès d’un système.
« Nous vivons une étonnante époque : mondialisation, technologie et capitalisme en sont les caractéristiques. En se combinant, elles forment mélange étonnant voire détonant. »
Ce 3ème article de notre série sur les « héros du vaccin » vous a intéressé. Découvrez les 2 premières parties :
- Katalin Kariko ou l’acharnement d’une chercheuse entre la Hongrie communiste et les Etats Unis
- Ugur Sahin et Özlem Türeci la success story fondateurs de BioNTech immigrés turcs en Allemagne
Mise à jour du 07/04/2021 : Stéphane Bancel fait officiellement son entrée dans le club fermé des milliardaires français recensés par le magazine Forbes
La crise du Covid ne l’est apparemment pas pour les milliardaires français. Ils sont 4 à rejoindre le club fermé des 40 milliardaires français selon le magazine Forbes. Parmi eux, Stéphane Bancel qui fait une entrée fracassante à la 23ème place. Les 8% du capital de Moderna qu’il détient sont aujourd’hui valorisés à plus de 4 milliards de dollars.
A l’occasion de l’annonce de ses résultats fin février, Moderna a annoncé avoir reçu pour 18.4 milliards de dollars de commandes de son vaccin mRNA-1273 à en moyenne 26 dollars la dose soit près de 707 millions de doses. Ce vaccin Moderna : un best-seller de l’année!!!
Mise à jour du 15/08/2021 : le jackpot du vaccin pour Moderna et Stéphane Bancel
Moderna a annoncé pour le 2ème trimestre des résultats financiers records avec un chiffre d’affaires de 4.4 milliards de dollars (contre 67 millions un an auparavant) avec un confortable bénéfice de 2.8 milliards de dollars. L’entreprise prévoit de réaliser un chiffre d’affaires de 20 milliards de dollars cette année.
Avec cette montagne de cash, Moderna a maintenant de grandes ambitions. L’entreprise prévoit de déployer sa technologie d’ARN messager dans de nombreux domaines (maladies infectieuses avec un candidat vaccin contre la grippe, maladies cardiovasculaires, oncologie, maladies autoimmunes). La bourse apprécie : Moderna vaut désormais 157 milliards de dollars soit 4 fois plus que début janvier…. plus cher que Sanofi!!!!