Europe 1 : le triste déclin de la radio de mon cœur

La radio occupe une place particulière dans ma vie. Depuis ma petite enfance, le petit boîtier émetteur de son m’informe, me divertit, me berce, me fascine…. Et ma radio, c’était Europe1. Je me lève avec sa matinale depuis des années. Une matinale de radio, c’est important dans la vie d’un homme (en tout cas dans la mienne), un bon Canteloup transforme votre journée. Alors aujourd’hui, j’ai un pincement au cœur. Europe1 est en crise. Pour la première fois dans l’histoire de la station, ses journalistes sont en grève. Bolloré le rapace s’est invité au capital du décadent Groupe Lagardère. Et il rêve de synergies avec la très à droite CNews (la Fox News française). Les journalistes refusent que leur antenne devienne une radio d’opinion, à moins d’un an de la présidentielle. Récit de ce triste déclin d’Europe 1. 

Le goût de madeleine des émissions d’Europe 1

Europe 1 a bercé mon enfance. Ses journalistes m’ont initié à l’actualité, à l’info. Les interviews de Jean-Pierre Elkabbach ont forgé ma culture politique. Tout avait commencé en 1982 avec la guerre de Malouines : curieux intérêt d’un gamin de 7 ans pour ce conflit du bout du monde. J’ai sans doute depuis écouté Europe 1 des dizaine de milliers d’heures.

Coluche avec Maryse, les Inconnus avec Laurence Boccolini, Arthur et ses pirates, le 16h00-18h00 d’Europe 1 a souvent provoqué une forte chute de ma productivité quand je faisais mes devoirs. Il y eut également le Top 50 avec les héros de Stars 80 de Image avec ses Démons de minuit à Partenaire Particulier.

Et puis, délicieuse transgression enfantine, j’ai écouté des heures durant avec mon petit poste de radio caché sous mon oreiller le célèbre multiplex avec le duo Eugène Saccomano, Pierre-Louis Basse. Je n’oublierai pas non plus les homériques commentaires de la montée de l’Alpe d’Huez sur le Tour de France par Jean-René Godart. Ah ces voix, ces voix!!!

Plus tard les chroniques de Guy Carlier ne sont pas étrangères à mon envie d’écrire. Dans ma deuxième vie, je serai peut-être chroniqueur radio.

 

Le lent déclin d’Europe 1 à partir des année 80

Le déclin d’Europe 1 ne date pas d’hier. Cette pionnière des « grandes ondes » n’est pas vraiment la radio de ma génération. Je suis trop jeune pour avoir connu son apogée dans les années 60 quand elle fit danser toute une génération avec la célèbre émission « Salut les Copains » de Daniel Filipacci.

Europe n°1 fut aussi la radio de mai 68, surnommée pendant quelques jours « Radio Barricades » en raison de la couverture en direct de l’événement par ses reporters. Quelle ironie de l’histoire si elle devait devenir le « Valeurs Actuelles » de la radio!!!

En 1974, la radio est privatisée et rachetée par Jean-Luc Lagardère, avant d’être nationalisée en 1981 puis de nouveau revendue au groupe Hachette en 1986. Elle caracole alors en tête des audiences radio.

Mais le paysage commence à changer. Les héroïnes des années 80 sont les radios FM, NRJ en tête. Radio France révolutionne l’info avec la création en 1987 de France Info. RTL avec son positionnement plus populaire détrône alors Europe 1 comme radio la plus écoutée des Français.

La chute s’accélère dans les années 2010

Mais la véritable descente aux enfers d’Europe 1 a lieu depuis 2010 après le départ d’Alexandre Bompard de la Direction. La station rentre alors dans une zone de turbulence dont elle n’est plus jamais sortie. Les dirigeants se succèdent impuissants face à l’hémorragie de l’audience.

C’est surtout l’instabilité chronique qui caractérise l’antenne. Marc-Olivier Fogiel (2009-2011), Bruce Toussaint (2012-2013), Thomas Sotto (2014-2017), Patrick Cohen (2018), Nikos Aliagas (2019), Matthieu Belliard (2020-2021), 6 présentateurs se succèdent en 10 ans à la tête de la matinale face à un trio Nicolas Demorand France Inter, Yves Calvi RTL et Jean-Jacques Bourdin RMC remarquablement stable.

En 2014, RTL assassine les après-midi d’Europe 1 en débauchant Laurent Ruquier pour présenter les Grosses Têtes. La valse des animateurs s’enchaîne et l’audience s’effondre. Elle est passée de près de 4.6 millions d’auditeurs quotidiens en 2015 à 2.6 millions en 2020. 

Amorce de stabilisation du déclin d’Europe 1 en 2020

Bref malgré les efforts de nouvelles grilles, de nouveaux animateurs, tout allait de mal à pis. La radio semblait lancée dans une fuite en avant destructrice. Elle se mettait d’ailleurs à afficher de lourdes pertes financières à compter de 2017.

A chaque rentrée, les auditeurs historiques comme moi se mettaient à rêver d’un renouveau. Le coup avait été particulièrement dur il y a deux ans avec le départ de figures emblématiques comme l’excellent David Abiker, Nikos Aliagas ou Géraldine Woessner. J’étais retourné sur France Inter quelques mois. Mais Matthieu Belliard après des débuts fastidieux avait fini par donner un coup de jeune à l’info.

L’ émission des Grandes Voix d’Europe 1 avec Charles Villeneuve, Michelle Cotta, Gérard Careyrou et Catherine Nay fleurait certes bon la nostalgie. Mais la qualité de ses éditorialistes le faisait presque oublier. Et puis, la station misait aussi de jeunes talents maison comme Matthieu Noël. Le ciel semblait s’éclaircir.

2021 le groupe Lagardère prend l’eau entraînant la radio dans sa chute

En parallèle, une autre histoire se jouait. Les affaires d’Arnaud Lagardère propriétaire d’Europe 1 n’étaient pas vraiment florissantes. Le fonds activiste Amber Capital décida de s’inviter au capital du Groupe Lagardère dénonçant les piètres talents de gestionnaire de l’héritier. Il réclamait surtout la fin de la structure en commandite du groupe qui permet à Arnaud Lagardère de le contrôler avec seulement 7% du capital.

Pour contrer l’assaillant, la cigale Lagardère lourdement endettée dût faire appel à un chevalier blanc : Vincent Bolloré. Mais le sauveur se transforma rapidement en prédateur. Arnaud Lagardère fit alors appel à un autre sauveteur, lui aussi au profil plus loup que mouton : Bernard Arnault. Une bataille s’engagea au cœur du capitalisme familial à la Française.

Aux termes de 2 ans d’âpre lutte, Arnaud Lagardère a fini par donner son accord pour l’abandon de sa commandite contre 200 millions d’€. Ca sera chose faite fin juin. Il restera PDG du Groupe mais sans le contrôler.

2021 annus horribilis et épilogue

Mais décidément les éléments sont contre la radio. La Covid a brutalement laminé les recettes publicitaires. En septembre dernier, Eric Dupont-Moretti devait rejoindre la station mais Emmanuel Macron le nomma ministre. De plus le télétravail n’est pas vraiment favorable aux audiences supprimant nombre de trajets du quotidien. Enfin, comble de malchance, l’affaire Olivier Duhamel vint faucher la solide émission Médiapolis du samedi matin.

La commandite enterrée, le grand recentrage ou dépeçage du Groupe Lagardère va pouvoir commencer. On dit Bernard Arnault intéressé par Paris Match et le JDD. Quant à Vincent Bolloré, il souhaiterait arrimer Europe 1 à CNews. Europe 1 n’a certes jamais été une radio de gauche… mais de là à en faire un média d’opinion…

Moi de mon côté, je suis à la recherche d’une nouvelle compagne matinale. Un ami m’a recommandé le silence. Mais j’ai du mal à me résoudre à cette solution. Si vous avez de bonnes suggestions, je suis preneur. En attendant, mes pensées accompagnent la rédaction des journalistes d’Europe 1.

Mise à jour du 08/07/2021 : le grand exode des journalistes d’Europe 1

Tous les jours, la liste s’allonge. Les voix familières d’Europe 1 s’en vont les unes après les autres : Patrick Cohen, Wendy Bouchard et Matthieu Belliard chez les journalistes vedette, Anne Roumanoff, Emilie Mazoyer, Pascale Clark, le docteur Jimmy Mohammed parmi les animateurs ou encore Sophie Larmoyer, aux manettes de l’excellente émission « Carnets du monde » depuis… 2005.

Ce sont globalement 76 personnes dont 36 journalistes qui ont décidé de profiter de la rupture conventionnelle collective proposée par la Direction. Et puis il y a le chroniqueur Bertrand Chameroy. Son contrat avait pourtant été reconduit. Il a été remercié après une chronique ironiquement mordante sur l’évolution de la station. Vincent Bolloré n’a pas apprécié. Sera-t-il plus tolérant envers Nicolas Canteloup qui ne s’est pas privé dans ses dernières « revues de presque » de dénoncer la prise de pouvoir par Vivendi.

Mise à jour du 23/07/2021 : Europe 1 a fini par aussi virer Canteloup

Ses dernières « revues de presque » étaient pour le moins impertinentes vis-à-vis de Vincent Bolloré. Le nouveau maître des lieux apprécie apparemment qu’on le raille. Europe 1 a donc décidé de se séparer de son imitateur vedette qui officiait dans la matinale pendant 16 ans. Son producteur Jean-Marc Dumontet l’a annoncé hier avec regret sur Twitter.

Il conclut son tweet par « Julie Leclerc va nous manquer. Les auditeurs vont nous manquer [….] Nous détesterions qu’Europe 1 manque à son histoire. »  De mon côté, je dois définitivement trouver une nouvelle matinale.

Mise à jour du 15/08/2021 : après Julie, c’est au tour de Laurent Cabrol de quitter Europe 1

L’été est définitivement meurtrier. Dans le nouvel Europe 1 à la sauce Bolloré, les icônes de la station ne sont pas les bienvenues. Julie Leclerc devait fêter l’année prochaine ses 50 ans de maison. Elle ne réussira pas cet exploit. Quant à Laurent Cabrol, il ne fera plus la pluie et le beau temps de la matinale.

Décidément, cette rentrée sera bien particulière.

Commentaires (2)
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  • Agnès Babinet

    Merci Benoit pour cet article. A sa lecture, un peu de nostalgie de mon côté, biberonnée dès l’enfance, vécue presque entièrement à l’étranger, avec RFI et France Inter en grandes ondes pour le mythique jeu des 1000 francs qui nous rattacha it à notre culture d’origine. Ado je ne manquais aucune émission de José Arthur, et fuyais la pub des grandes radios privées.
    Je n’ai qu’une suggestion à te faire, si le silence ne te convient pas au pdj,… C’est la matinale de France Inter, maintenant qu’il y a de la pub comme ailleurs 😉

    • Ban500

      Et oui Agnès à chacun ces madeleines radiophoniques. Ma Grand-Mère écoutait aussi tous les jours le jeu des 1000 francs. Je m’en souviens bien.