Au Mont Blanc, les quotas sur la montagne

Alors que la montagne bruisse encore du bruit feutré des skis sur la neige, la saison estivale se prépare déjà. Car cet été c’est décidé, ce ne sera pas la plage et ses châteaux de sable, ce sera la montagne et le toit de l’Europe ! Le Mont-Blanc, un rêve de jeunesse, un splendide inutile pour paraphraser Lionel Terray. Mais l’affaire n’est pas si simple. L’ascension du Mont Blanc va être réglementée à partir de l’été 2019,  des quotas vont être mis sur la montagne !

En creusant le sujet, on s’aperçoit que ces quotas pour le Mont Blanc ne sont pas extrêmement restrictifs : il s’agit que chaque ascensionniste qui se lance depuis Saint-Gervais puisse prouver qu’il a sa nuit réservée au refuge du Goûter. Pas de lit, pas de sommet. La capacité du refuge est de 214 places. Si on estime que la saison du Mont-Blanc s’étire du 15 juin au 1er septembre, ça fait quand même 16 000 personnes !

QUOTAS POUR L’ASCENSION DU MONT BLANC : LA FIN DE LA LIBERTE

L’étonnement qui a pu me saisir vient sans doute du fait que l’on remette en cause l’accès à des lieux publics. Pourquoi n’importe qui ne pourrait pas avoir accès à la montagne ? Pourquoi l’accès serait réservé à ceux prêt à débourser plusieurs milliers d’euros pour se payer les services d’un guide et bénéficier des places réservées dans le refuge par les différentes compagnies ?

Longtemps la montagne fut décrite comme une zone de liberté. Et le débat d’éventuelles réglementations agite depuis longtemps les vallées. Au XIXème siècle, on ne pouvait pas tenter l’ascension du Mont-Blanc sans avoir recours à un guide et un porteur. Sport d’abord réservé à une élite, l’alpinisme s’est petit à petit ouvert à un plus grand nombre. Et les « sans-guide » ont eu raison du monopole de la Compagnie des Guides de Chamonix.

La montagne est victime de son succès, des campagnes marketing des stations mais aussi des équipementiers sportifs qui nous enjoignent à mettre de l’aventure dans notre vie ! Elle est loin l’époque où les Glacières de Savoie inspiraient terreur et tremblements aux habitants de la vallée. Quand au XVIIIème siècle, une poignée d’anglais se mit en tête de les faire connaître au plus grand nombre, ils furent pris pour des originaux.

Mais petit à petit la montagne fut aménagée, la nature domptée avec déjà des débats sur la mécanisation quand les muletiers qui montaient les touristes au Montenvers firent grève pour bloquer la construction du train à crémaillère qui allait leur prendre leur gagne-pain, mais permettre à beaucoup plus de monde de monter sur les sommets. Aujourd’hui ce sont 500 000 visiteurs qui prennent la benne de l’Aiguille du Midi chaque année. La mécanisation a mis à portée de main et de bourse les merveilles de la nature.

UN DOMAINE QUI RESTE DANGEREUX

Le fond du problème est sans doute que la montagne reste un domaine dangereux. Un domaine rendu encore plus dangereux par le réchauffement climatique. Le permafrost fond ! et c’est grave docteur ? Oui dans la mesure où, depuis des millénaires, il soudait les pierres entre elles. Sans lien, les falaises tombent. A écouter les guides chamoniards, sur les cent plus belles courses que Gaston Rébuffat recensait dans le massif dans les années 70, seulement une poignée serait encore réalisable en toute sécurité. Le Couloir de la Mort, ce passage d’une centaine de mètres qui commande l’accès au refuge du Goûter sur la voie royale d’ascension du Mont-Blanc, présente un bilan bien plus terrible que la pire des nationales avant la limitation à 80km/h : plus de 100 morts et 230 blessés depuis 1990…

On l’aura compris la conséquence en montagne d’une hausse de la fréquentation n’est pas uniquement que vous n’êtes pas seul sur votre selfie au sommet du Mont-Blanc. C’est une question de sécurité publique. Et puis, on limite bien les entrées aussi bien à la Tour Eiffel qu’au Château de Versailles. Alors pourquoi pas au Mont Blanc ? La plus haute montagne d’Europe est devenue un monument historique, un incontournable de la visite en France !

L’ASCENSION DU MONT BLANC : UN DES DÉFIS A LA MODE 

Un autre phénomène s’ajoute à cela, celui de la banalisation de la haute montagne par les montagnards eux-mêmes. Quand Kylian Jornet, star internationale du trail, poste sur son compte Facebook des photos de lui en T-shirt / chaussures de running sur l’arrête des Bosses, on peut craindre que ses admirateurs ne veuillent l’imiter !

Dans notre société de la performance, de la réalisation de soi, faire le Mont Blanc est devenu un des défis à la mode. Comme on se lance dans un marathon suite à un pari entre amis, on fait le Mont Blanc. Car techniquement l’ascension du Mont-Blanc n’est pas difficile. C’est une grande randonnée glaciaire qui exige une bonne condition physique mais pas de maîtrise des techniques complexes d’alpinisme. Nettement plus facile que l’ultra-trail du Mont-Blanc le fameux UTMB

Alors que faire ? Le raccourci qui fait de la démocratisation de la montagne la source de tous les dangers est lui-même dangereux. Si l’élitisme est mieux quand il est pour tous, la montagne pose la question du danger. Jusqu’où va la liberté quand elle commence à mettre les autres en danger, quand il faut faire décoller l’hélicoptère du PGHM pour aller sauver un apprenti alpiniste coincé à plus de 4 000 mètres d’altitude ?

MONT BLANC QUOTAS : A LA MÊME ENSEIGNE QUE L’EVEREST

L’Himalaya a connu le même phénomène. Dans les années 90 se sont multipliées les expéditions commerciales qui partaient à l’assaut du toit du monde. On passait d’un monde d’alpinistes professionnels à un monde où un alpiniste non aguerri pouvait espérer parvenir sur le toit du monde moyennant une très grosse poignée de dollars. Le Népal a tenté de mettre des quotas et a augmenté le prix des autorisations d’expéditions. Mais le Tibet, qui partage l’Everest, a joué la concurrence ne fixant pas de quotas. Plus récemment des agences low cost proposent l’Everest à des prix cassés. Résultat ce sont 1 500 personnes qui crapahutent sur les pentes de l’Everest chaque année, contre 400 en 1990.

Alors serait-ce un combat perdu d’avance que de mettre des quotas à l’ascension du toit de l’Europe ? Après un premier mouvement de révolte dans l’esprit « Touche pas à ma montagne », mon cynisme m’a bien vite rappelé que désormais pour rentrer au conservatoire, participer à certaines courses ou bien rentrer à l’université, il fallait gagner au tirage au sort. Alors après le loto du Patrimoine, à quand le loto du Mont Blanc ?

Mise à jour du 24/05/2019 : embouteillage dans l’Himalaya

Tragique embouteillage sur l’Everest. Un alpiniste s’est retrouvé coincé pendant 12 heures dans un « embouteillage » sur le chemin du retour. Il est mort d’épuisement. La haute saison pour gravir l’Everest est courte entre fin avril et fin mai. L’affluence de candidats pour gravir le toit du monde a provoqué ce mortel engorgement. Les quotas au Mont Blanc avant tout une question de sécurité. Ce terrible événement ne fait que malheureusement le confirmer.