Coup de tonnerre dans la lutte entre la commission européenne et les GAFAM sur la taxation de leurs activités. La cour de justice de l’Union Européenne a annulé la décision de la commission européenne de redressement fiscal d’Apple pour un montant de 13 milliards d’€. La commission avait jugé illégaux des accords conclus entre Apple et l’administration fiscale irlandaise. Et elle demandait le remboursement des avantages fiscaux ainsi perçus. Le tribunal de l’Union Européenne a jugé que la commission n’avait pas réussi à prouver que ces aides fiscales avaient faussé la concurrence. Cette décision est un échec majeur pour la commissaire Margrethe Vestager. « La dame de fer » a fait de de la lutte contre l’évitement fiscal et les abus de position dominante des entreprises du numérique son cheval de bataille. Une confirmation de cette décision en appel serait un coup très dur dans la quête pour la souveraineté numérique européenne.
Silicon Docks, nouveau quartier de Dublin, symbole de la présence des GAFAM en Irlande
2018 week-end dans la sympathique ville de Dublin avec ses pubs, ses parcs, son campus traditionnel de Trinity College. Au bout de la ville, au bord du Grand Canal, loin des façades en briques, nous découvrons le quartier moderne de Silicon Docks. Google, Facebook, AirBnB, Tripadvisor, Linkedin, Amazon, Twitter… ils sont tous là les sièges européens des géants américains du numérique. Vu le nombre de grues en activité, l’opulent quartier poursuit son extension dans une ambiance de créativité architecturale.
L’Irlande grâce à sa fiscalité accommodante (un taux d’impôt sur les sociétés de 12.5% avant accords particuliers) est devenu le « paradis des sièges sociaux » des GAFAM. Cela a permis au pays, historiquement un des plus pauvres d’Europe, de devenir en 30 ans l’un des plus prospères de l’Union Européenne. Finies les grandes vagues d’immigration des irlandais vers les Etats Unis. L’Irlande est maintenant un pays d’immigration.
Après la crise de 2008 particulièrement dure, le pays a repris sa marche en avant. Elle affiche un taux de croissance supérieur à 10% sur la période 2014-2018 dont un, incroyable +25% en 2016. On comprend dès lors l’attachement de l’Irlande à ce régime fiscal source de sa prospérité.
Le combat de Margrethe Vestager pour la taxation des GAFAM
Parmi les GAFAM, Apple fut la première à miser sur l’Irlande. La firme de Cupertino s’installe à Cork dès 1980. Elle y emploie 6000 personnes avec notamment la seule usine opérée en propre par la marque à la pomme. Cork est surtout le siège de toutes les activités d’Apple pour l’ensemble de la zone EMEA (Europe, Middle East, Africa).
L’Irlande voit donc rouge quand la commissaire européenne à la concurrence Margrethe Vestager la met en accusation concernant le traitement fiscal d’Apple. La politique fiscale n’est-elle pas du ressort de chaque état? Pas si simple. La commission invoque l’article 107 du TFUE (traité de fonctionnement de l’Union Européenne). Cet article « interdit les aides d’état qui faussent ou menacent de fausser la concurrence sur le marché intérieur« . Ça n’est pas le régime fiscal spécial en soi accordé à Apple qui est jugé illégal par la commission mais l’avantage concurrentiel qu’il conférerait à la firme à la pomme sur le marché unique.
Sur cette base, la commission condamne en 2016 Apple à rembourser à l’état irlandais 13 milliards d’€. Apple proteste avec véhémence. Son PDG Tim Cook parle de « political crap ». L’Irlande soutient la position d’Apple. Un état qui fait tout pour ne pas recevoir 13 milliards d’€ : situation inédite!!!!
De son côté, la commission européenne révèle au grand jour l’ampleur de l’optimisation fiscale réalisée par les GAFAM dont en particulier Apple. Margrethe Vestager martèle ainsi ce spectaculaire chiffre pour l’année 2011. « la filiale irlandaise d’Apple a enregistré des bénéfices européens de 22 milliards de dollars américains (environ 16 milliards d’euros), mais aux termes de la décision fiscale, seuls environ 50 millions d’euros étaient considérés comme imposables en Irlande. » soit un taux d’imposition de ces profits de 0.3%
La France et l’Union Européenne en échec dans leurs projets de taxation des GAFAM
Donald Trump proteste et surtout menace la France de représailles commerciales notamment avec des taxes sur le vin français. Les états européens sont désunis sur ce dossier. Face aux pressions américaines, la France décide un report à décembre 2020 de cette taxe GAFA. Pour expliquer ce recul, le Ministre de l’économie Bruno Le Maire s’en sort avec une pirouette. Il indique que cela laisse le temps à la négociation internationale entre Européens et Américains menée au niveau de l’OCDE.
Les négociations au niveau de l’organisation internationale semblent alors bien avancer. L’OCDE indique début mai sa volonté de présenter un projet finalisé au G20 du mois d’octobre. Mais coup de théâtre le 17 juin, l’administration Trump annonce sa décision de suspendre sa participation aux négociations de l’OCDE. Elle prétexte la pandémie de Covid-19. Une négociation impossible lors d’une année électorale. Simple« posture de négociation » commente optimiste le commissaire européen Thierry Breton ou nouveau report aux calendes grecques de la taxe GAFA. L’avenir le dira.
Taxation des GAFAM : la cour de justice européenne annule la condamnation d’Apple à rembourser 13 milliards d’€ d’avantages fiscaux
15 juillet nouveau coup de théâtre dans le feuilleton de la taxation des GAFAM. La cour de justice européenne décide d’annuler la condamnation d’Apple à rembourser 13 milliards d’€ d’aides fiscales à l’Irlande. Pourquoi la commission a-t-elle été désavouée? Dans son arrêté, le tribunal motive ainsi sa décision. « La Commission n’est pas parvenue à démontrer à suffisance de droit l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. »
Le tribunal considère donc que la commission n’a pas réussi à prouver que les avantages fiscaux d’Apple lui ont donné un avantage concurrentiel sur le marché européen. Difficile en effet d’argumenter que les Européens achètent des Iphone grâce aux aides fiscales irlandaises. Apple n’est pas réputé pour le dumping sur ses produits. Les juges ont donc balayé le recours au droit de la concurrence par Margrethe Verstager pour imposer une taxation des GAFAM.
C’est un revers majeur pour la commission européenne. Si la décision devait être confirmée en appel, elle constituerait un coup d’arrêt brutal aux tentatives de lutte de la commission contre l’optimisation fiscale jugée abusive des GAFAM et plus généralement des multinationales. Ce serait pour les grandes entreprises un vrai feu vert à une concurrence « fiscale » sauvage entre les états membre.
Au final que penser de toute cette affaire?
Quelles que soient les opinions politiques, le constat est amer pour l’Union Européenne. Les libéraux ironiseront avec mélancolie : les Américains créent les GAFAM, les Chinois les copient (BATX) et les Européens les taxent. Terrible aveu de l’échec de l’Europe dans la révolution numérique en cours. Les défenseurs d’une légitime taxation des géants du numérique constateront eux que les GAFAM continuent année après année à pratiquer avec succès l’optimisation fiscale avec succès.
Le sujet est brûlant. Les états européens auront besoin de ressources fiscales pour financer les plans de relance suite à l’épidémie de coronavirus. Les conclusions du sommet européen de Bruxelles sur le plan de relance précisent que la commission présentera d’ici le 1er janvier 2021 des propositions sur une redevance numérique au niveau européen. Sur ce sujet, les états européens sont profondément divisés. Le feuilleton de la taxation des GAFAM connaîtra de nouveaux rebondissements avec en perspectives de nouvelles nuits blanches à Bruxelles.
Cet article sur la taxation des GAFAM vous a intéressé. Pour en savoir plus, découvrez notre article pour comprendre pourquoi culturellement les géants de la Silicon Valley font tout pour ne pas payer d’impôts.
Mise à jour du 05/12/2020 : taxe GAFA, la France avance et se veut locomotive de l’Europe. Bras de fer en vue avec l’administration Biden
Faute d’accord au niveau de l’OCDE, la France a décidé de mettre en place sa taxe GAFA dès 2020. Elle devrait rapporter à Bercy 400 millions d’€ cette année. En cas de riposte américaine, Bruno Le Maire a indiqué que la France appellera l’Union Européenne à la rescousse.
En parallèle, les ministres des finances de l’Union ont décidé de mettre au point une taxe sur les géants numériques d’ici l’été 2021 et ce quelles que soient la position des Etats Unis. L’Union Européenne déclenche ainsi un bras de fer avec les américains qui sera un test des futures relations avec la nouvelle administration Biden.
Mise à jour du 01/05/2021 : Apple accusé d’abus de position dominante sur le marché de la musique en ligne suite à une plainte de Spotify
Margrethe Vestager a décidé d’ouvrir un nouveau front contre Apple. La commission européenne accuse Apple de fausser la concurrence sur ce marché en imposant à Spotify une commission de 30% sur les abonnements payants (15% la 2ème année) alors que sa filiale Apple Music ne paie rien.
Cette enquête de la commission fait suite à une plainte déposée par Spotify qui dénonçait l’impossibilité pour ses clients de s’abonner sur son site Internet et non sur l’Appstore. Un autre géant du numérique Epic Games, éditeur du best-seller du jeu vidéo Fortnite, est également parti en guerre contre Apple pour le même motif. Il a également porté plainte contre Apple pour abus de position dominante devant l’Union Européenne.
Avec le chargeur universel, la commission a ouvert un nouveau front.
Dans le même temps, la capitalisation boursière d’Apple a dépassé les 2000 milliards de dollars… plus que l’ensemble du CAC40!!!