Dernier article de notre trilogie sur le télétravail. Après le récit de l’expérience volontariste du groupe PSA (Peugeot Citroën) et un article consacré aux opportunités et aux limites du travail à distance, nous vous parlons cette semaine des « full remote » (100% télétravail). Gitlab, Invision, Automattic (éditrice de WordPress), ces noms ne vous disent peut-être rien mais cachent peut-être une future GAFAM. Pour ces entreprises « extrémistes » du travail à distance, la notion de travail au bureau est aussi obsolète que le Walkman ou le Minitel pour nos enfants. Il s’agit généralement de jeunes entreprises de la tech. Leur modèle n’est certes pas généralisable. Mais les méthodes de ces champions du télétravail sont riches d’enseignements. Nous vous proposons de les découvrir à travers l’exemple de Gitlab la plus grosse entreprise mondiale 100% télétravail qui compte plus de 1000 salariés.
Gitlab une « success story » ukraino-néerlandaise née en télétravail
L’histoire de Gitlab commence à distance. Les deux co-fondateurs l’ukrainien Dmitriy Zaporozhets et le néerlandais Sid Sijbrandij créent l’entreprise en 2012 sans jamais s’être rencontrés. Ils ne se verront physiquement qu’un an après la création de l’entreprise. Aujourd’hui encore Zaporozhets vit toujours en Ukraine tandis que Sijbrandij est installé à San Francisco.
Gitlab c’est ensuite une « success story » de la Silicon Valley. L’entreprise réalise aujourd’hui plus de 100 millions de dollars de chiffre d’affaires. Mais surtout en 2019, elle a levé 268 millions de dollars ce qui la valorise à 2.7 milliards de dollars. Elle emploie aujourd’hui plus de 1000 personnes.
Pourtant Gitlab n’a ni bureau, ni siège social. C’est la plus grosse « remote company » 100% télétravail au monde. Ses employés ne se rencontrent qu’une fois par an lors du « Gitlab’s annual summit ».
Gitlab est une plate-forme logiciels open source destinée à accompagner les développeurs informatique sur tout le cycle du Devops (mariage du développeur (Dev) et de l’administrateur informatique (Ops)). Gitlab est le principal concurrent de Github racheté en 2018 par Microsoft. Ses clients vont du développeur freelance à de grosses structures comme le CERN avec 12.000 utilisateurs informaticiens et chercheurs utilisateurs de la plate-forme.
Gitlab une entreprise militante du 100% télétravail
Gitlab est une société militante du télétravail. Elle cherche à faire des émules. Pour l’entreprise, le 100% travail à distance l’emporte sur les autres formes d’organisation notamment l’hybride mix télétravail et présentiel.
Son site Internet apporte de multiples conseils à destination des entreprises qui voudraient se lancer dans le « full remote ». Pour évangéliser, il faut une bible. En interne, c’est le « handbook » un document public de près de 7000 pages qui est le référentiel complet de la façon dont est gérée l’entreprise. En externe, c’est le « remote playbook » un document très détaillé de 48 pages. Je vous propose de les explorer ensemble.
Des méthodes de travail en commun complètement formalisées, un minimum de réunions et d’outils informatiques
Chez Gitlab, le télétravail ne s’improvise pas, bien au contraire. L’entreprise définit des règles de travail en commun extrêmement précises. Ceux qui pensaient que travail à distance rimait avec liberté totale seront déçus. Travailler chez Gitlab demande de rentrer dans un moule derrière lequel on devine une culture d’entreprise très forte, une discipline quasi-militaire sur les méthodes et l’organisation du travail.
Commençons par les outils. 1er conseil, Gitlab recommande de ne pas les multiplier : « Google Docs, a company-wide chat tool (like Microsoft Teams or Slack), and Zoom are all you need to start ».
Par ailleurs, chez Gitlab, la réunion est l’exception et non la règle. L’entreprise s’enorgueillit d’avoir des employés dans 68 pays. Travailler de manière asynchrone 24 heures sur 24 sur tous les fuseaux horaires est à la fois une nécessité et un avantage concurrentiel de l’entreprise. Il est normal chez Gitlab qu’un salarié ne puisse pas assister à une réunion. Il faut malgré tout qu’il puisse y contribuer en amont si nécessaire et récupérer les informations en aval.
Gitlab réhabilite la culture de l’écrit
Pour réussir ce tour de force, à ma grande surprise et à contre-courant de l’époque, Gitlab réhabilite l’écrit. Chez Gitlab, pas moyen d’interroger oralement son voisin de bureau quand on a une question. Alors on écrit tout.
Extrait du remote playbook : « By brainstorming in text – rather than drawings – we’re forced to clearly articulate proposals and ideas, with less room for interpretations. A picture may be worth a thousand words, but it’s also open to as many interpretations as thereare people viewing it. » (En réfléchissant par écrit – plutôt qu’avec des dessins, nous sommes obligés d’exprimer clairement propositions et idées. Une image peut valoir 1000 mots, mais une image ouvre aussi la possibilité à autant d’interprétations que de personnes la voyant.)
Les réunions chez Gitlab se font avec un document Google Docs partagé ouvert que les participants complètent de manière coopérative au fur et à mesure. Ces comptes rendus très détaillés permettent de donner aux télétravailleurs un large accès à l’information. De la même façon, les objectifs trimestriels et les résultats clé à atteindre de chaque département sont formalisés par écrit mais surtout visibles par l’ensemble de la société.
Une culture de la transparence dans l’esprit de l’open source
Cette transparence est d’ailleurs une des valeurs de l’entreprise. Par défaut, tout ce que fait l’entreprise est public notamment le fameux handbook de 7000 pages qui décrit en détails les processus de l’entreprise. Quel contraste avec la culture du secret que l’on constate dans la plupart des entreprises et qui souvent alimente un fonctionnement en silos. Elle part de la conviction que le partage large d’informations est source de collaboration et de performance en l’absence de contacts physiques informels.
Cette culture de la transparence trouve son origine dans l’activité de l’entreprise. La plate-forme de Gitlab est complètement open source. Parmi ses clients, l’entreprise compte plus de 2500 contributeurs au développement de sa plate-forme. Gitlab c’est donc 1300 salariés et 2500 contributeurs qui interagissent tous à distance. Gitlab réplique en interne l’esprit de l’open source qui la lie à ses clients.
Les 15 méthodes de Gitlab pour créer du lien social en télétravail
Mais bon me direz-vous. Tout cela n’est pas « très fun ». Pas de machine à café, pas de babyfoot comme habituellement dans les start-ups californiennes et un handbook de 7000 pages qui rappelle les ternes manuels qualité des années 90.
Ne vous inquiétez pas le handbook a tout prévu!!! Et Gitlab y encourage fortement une communication informelle entre les télétravailleurs. Le handbook recense pas moins de 15 méthodes différentes pour créer du lien social à distance.
Je vous en cite quelques unes :
- Le plus classique les « breakout calls » des réunions informelles avec votre équipe pour parler de tout sauf du travail
- Coffee chat : c’est la pause café virtuelle avec vos collègues. Gitlab propose même grâce à l’application Donut de vous organiser des cafés virtuels avec des personnes que vous ne connaissez pas. On retrouve là le hasard des rencontres à la machine à café
- Juice box chat sur le même principe que les coffee chat mais où conjoints, enfants, grands parents sont aussi invités
- Chez Gitlab, on fait beaucoup de jeux à distance avec Zoom : des spectacles « talent show » façon téléréalité avec un jury, des chasses au trésor virtuels, des karaokés à distance avec la fonction Zoom DJ ou encore des quizz
- Sans oublier les pizza parties, les déjeuners virtuels ou les apéros Zoom
Pour terminer en synthèse, parole au fondateur de Gitlab Sid Sijbrandij
Alors convaincus ou pas par ce modèle 100% télétravail développé par Gitlab? Pour ma part, je trouve assez incroyable ce travail de formalisation de tout le fonctionnement de l’entreprise dans le handbook. C’est une véritable mine d’or de conseils très pratiques pour une structure qui souhaite généraliser le télétravail. Après travailler « full remote » me semble aride et difficile de se rendre compte de l’extérieur si ce fameux handbook ne devient pas sclérosant. Mais en ces temps de Covid où le télétravail s’impose, cet exemple est nécessairement inspirant .
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[…] La cohésion des équipes est ainsi nécessaire et peut être parfois plus difficile à maintenir lorsque certains collaborateurs sont à distance. La culture d’entreprise passe à travers plusieurs leviers : temps informels, team buildings ou encore prises d’opinions. Par exemple, chez Gitlab, une des premières entreprises à adopter le 100 % télétravail, les collaborateurs organisent régulièrement des “breakout calls”, c’est-à-dire des réunions informelles avec leur équipe pour parler de tout sauf du travail. L’entreprise propose également d’organiser des cafés virtuels avec des personnes de l’entreprise que l’on ne connaît pas grâce à l’application Donut. Retrouvez le détail des actions de l’entreprise ici. […]